Renée Habib est née à Casablanca en 1924. Alors que sa mère, institutrice, souhaitait qu’elle devienne professeur d’Anglais, elle décide de faire des études de médecine. Elle part alors du Maroc où il n’y avait pas de faculté de Médecine pour Alger où elle rencontre Elio qui lui venait de Tunisie pour la même raison. Après le PCB, en septembre 1944, elle se voit opposer le numerus clausus à son inscription en première année de médecine, probablement en raison du fait que l’Algérie à cette date était encore plus pétainiste que Vichy. Elle commence ses études de médecine à la Faculté de Médecine de Paris à la fin de la seconde guerre mondiale. Elle est externe dans le service du Professeur Robert Debré et s’intéresse à l’anatomie pathologique. Elle se forme à cette spécialité à Londres au Great Ormond Street. Robert Debré l’oriente vers la recherche et lui confie la responsabilité du laboratoire d’anatomopathologie. Madame Habib est recrutée en 1953 dans le laboratoire de Pierre Royer à l’INSERM. Comme pédiatre et anatomopathologiste, elle a orienté ses travaux sur les maladies du rein chez l’enfant, un domaine auquel elle a consacré sa vie professionnelle pendant les quarante années suivantes.
Alors que son mari Elio est interne chez Jean Hamburger, ce dernier lui demande de créer un laboratoire d’anatomie pathologique rénale. Cela lui a permis de comparer les pathologies rénales de l’adulte et celles des enfants en partageant pendant plusieurs années son activité entre la pédiatrie et la néphrologie adulte. Mais elle avait posé comme condition à Monsieur Hamburger qu’ait lieu une réunion hebdomadaire pour exposer ses observations, critiquer l’interprétation des images et montrer comment on pouvait préciser un diagnostic de maladie rénale par la pratique de la biopsie rénale. Ces réunions ont largement participé à la formation des jeunes internes. Les discussions étaient souvent animées. Madame Habib racontait que Monsieur Hamburger intervenait en disant par exemple « Vous n’avez rien compris au problème, laissez-moi vous dire que… », et elle l’interrompait par « Ecoutez, Monsieur, ou bien vous êtes aveugle ou bien vous êtes sourd. Choisissez, mais on ne peut pas lancer la discussion comme cela. Cela fait huit ans que je décrits cette maladie-là. Attendons encore deux ans, je suis sûre que vous comprendrez alors ce que je suis en train de dire « Pourquoi deux ans ? » « J’ai fait un calcul statistique et j’ai remarqué qu’il faut à peu près dix ans pour que vous compreniez ce que je décrypte » En fait ils s’entendaient très bien et s’appréciaient énormément. Mais cette anecdote décrit bien la personnalité de Madame Habib qui ne se laissait pas impressionner par les titres et les grands patrons et avait un franc parler dont beaucoup se souviennent au cours de nombreuses réunions scientifiques.
Renée Habib participe activement en 1961 au séminaire de néphrologie pédiatrique organisé par Pierre Royer et Henri Mathieu au Centre International de l’Enfance au château de Longchamp, séminaire dont les textes ont été publiés dans un ouvrage intitulé Problèmes actuels de Néphrologie Pédiatrique. Ce séminaire a un impact important pour les personnes qui ont eu le privilège d’y assister comme me le disait il y a une dizaine d’années Haim Boichis. La réputation internationale de Renée Habib a débuté la même année à la suite d’un symposium à la Fondation Ciba à Londres où elle présente ses travaux sur la classification du syndrome néphrotique lors d’un symposium sur l’intérêt de la biopsie rénale. Elle parlait souvent de cet événement qui représentait un tournant dans sa carrière. Elle devient un des membres incontournable du groupe international d’études de maladies rénales de l’enfant connu sous le sigle de ISKDC.
Les travaux de Madame Habib ont couvert presque tout le champ des maladies rénales de l’enfant. La collaboration qu’elle a toujours eue avec les cliniciens était pour elle indispensable. D’abord avec Pierre Royer puis pendant de nombreuses années avec Michel Broyer. Cela lui a permis de décrire, la première, les lésions spécifiques du syndrome hémolytique et urémique, de décrire l’hypoplasie oligoméganéphronique, de démembrer et de classer les néphropathies glomérulaires. Ses collaboratrices préférées, Marie Claire Gubler et Micheline Lévy l’ont aidée dans cette tache avec succès. Mireille Lacoste et Mireille Sich lui ont apporté leurs compétences techniques. A la suite de la scission de l’Unité 30 de l’INSERM que dirigeait Pierre Royer, Renée Habib a pris la direction de l’unité 192 de 1979 à 1990 avant de prendre sa retraite en 1993. Elle a ensuite été nommée Directeur émérite à l’INSERM.
Madame Habib a été un des membres fondateurs de la Société Européenne de Néphrologie Pédiatrique. Elle participait activement aux activités de la Société Internationale de Néphrologie Pédiatrique. Nul ne pouvait l’arrêter que ce soit en anglais ou en espagnol. La connaissance de ces langues, sa générosité et ses dons en communication lui ont permis de nouer des liens très forts avec de nombreux collègues d’Amérique latine dont elle se sentait proche et qui lui vouent une admiration sans borne. Madame Habib a été une pionnière en pathologie rénale et sa contribution dans ce domaine a été particulièrement fructueuse et originale donnant lieu à plus de 400 publications. Pour l’ensemble de son travail, elle a reçu de nombreux prix et distinctions. Les plus importants pour elle ont été le John Peter Award, la plus haute distinction de la société américaine de néphrologie, qui lui a été attribué en 1989 à San Antonio, le prix Jean Hamburger de la société internationale de néphrologie et le prix de la Fondation Recherche Médicale qui distingue les chercheurs, qui, à travers l’originalité de leurs travaux et la richesse de leur parcours professionnel, contribuent au progrès de la connaissance et aux avancées de la recherche médicale. Elle a été décorée des mains de François Mitterand de la légion d’honneur. Madame Habib avait un caractère fort et généreux. Tous ceux qui ont eu comme moi le privilège de travailler avec elle l’admiraient pour son intelligence, sa rigueur scientifique et ses qualités de chercheur. Qu’il me soit permis au nom de tous ceux qui l’ont côtoyé dans sa vie professionnelle, qui l’ont apprécié et admiré de dire que nous perdons un être très cher.
Patrick Niaudet
Voir également la remise de la médaille Jean Hamburger à l'occasion de la Réunion communne de la Société de Néphrologie et de la Société Francophone de Dialyse à Lille en 2006