Alain Slingeneyer est mort le 8 novembre 2014 au matin après 8 mois d’une « lutte contre le crabe », selon ses propres termes, combat qu’il a mené avec courage et ténacité, sachant dès le début quelle en serait la fin. Cette volonté de survivre malgré le pronostic fatal établi dès que le mal fut détecté, illustre cette âme de combattant qui habitait Alain et qui s’est exprimée tout au long de sa carrière dans l’extrême dévouement qu’il portait à ses patients.
Venu me rejoindre en 1974 à l’hôpital Saint Eloi au Service du traitement de l’insuffisance rénale (STIR), il acheva la transition en cours de la dialyse péritonéale par ponction répétée à la DP intermittente avec cathéter de Tenckhoff. C’est lui qui finalisa en collaboration avec les Ets Villevieille la mise au point d’un distributeur automatique de liquide de dialyse, utilisant les bidons de 10 litres préparés à Tours par le laboratoire « La Pharmacotechnie ». Cet appareil connut une certaine diffusion sous la marque « Capucine ». Cette technique, alors innovante, permit le développement d’un programme de DP à domicile qui contribua largement à la prise en charge des patients âgés que le nombre insuffisant de postes d’hémodialyse en centre excluaient de l’accès à un traitement de suppléance. Passionné par la mise en œuvre de ce programme et par sa croissance rapide, il s’attacha à en maîtriser tous les aspects techniques : il se forma aux côtés du Professeur Michel Balmès à la pose du cathéter péritonéal, technique dont il devint un expert reconnu.
En 1976, la Caisse Régionale de l’Assurance Maladie mit à notre disposition des locaux pour créer un centre d’éducation et de repli dans la Clinique du Mas de Rochet récemment construite. Cette structure comptait une douzaine de lits, ce qui permit de répondre aux besoins d’un nombre toujours croissant de patients pour lesquels les locaux du STIR ne disposaient d’aucun moyen d’accueil ; ce fut une base opérationnelle efficace dont Alain sut tirer le meilleur parti malgré l’effectif limité de l’équipe soignante. Avec le recul du temps, on peut regretter que la localisation extrahospitalière de ce centre ait contribué à séparer « l’expert en DP » que fut Alain des membres de l’équipe néphrologique peu à peu constituée à partir de 1980 à l’hôpital Saint Charles puis complétée en 1984 à l’hôpital Lapeyronie.
Toujours en quête de progrès, il se lança avec passion dès 1978 dans l’évaluation de la DPCA, d’autant plus qu’il acceptait mal les limites d’efficacité de la DP intermittente. Après l’échec d’une connexion utilisant un filtre bactériologique pour prévenir la péritonite de DPCA, Slingeneyer étudia et compara les divers modèles de connecteurs ; il collabora avec plusieurs laboratoires pour améliorer les systèmes de connexion et augmenter la sécurité des manœuvres de branchement des poches. Son enthousiasme et sa persévérance dans l’éducation des patients lui permirent d’obtenir les taux les plus bas d’infection péritonéale.
Travailleur inlassable, Slingeneyer eût très tôt le souci de collecter et de publier les données cliniques et biologiques de nos patients, ce qui nous permit de faire connaître l’expérience montpelliéraine de DP en France et à l’étranger. Au sein de ces diverses instances scientifiques, il acquit une notoriété largement méritée qui l’amena à participer à plusieurs études multicentriques, et à devenir un consultant respecté, sollicité tant par des confrères néphrologues pour des problèmes cliniques que par les services de recherche et de développement de divers laboratoires pour tester les innovations techniques (connexions, générateur Physiocontrol, machines pour DPA) ou les nouvelles formules de liquide de dialyse.
Un épisode particulièrement douloureux a marqué le début des années 80. La survenue de plusieurs cas de péritonite sclérosante chez des patients bien adaptés à la DP intermittente fit planer un doute sur la possibilité de continuer l’indication de cette technique. Grâce à une étude épidémiologique conduite par l’EDTA, l’une des causes principales de cette complication gravissime fut mise en évidence : c’était l’acétate contenu dans le liquide utilisé par notre équipe. Le recours à des solutions contenant du lactate élimina définitivement cette complication redoutable.
Le rappel succinct du parcours professionnel d’Alain serait bien incomplet si j’oubliais de dire quel médecin il fut pour ses patients. Si on a pu parler de sacerdoce à propos de sa pratique médicale, je mettrais plutôt l’accent sur une véritable passion qui l’amenait à établir avec chacun des patients un lien affectif très fort. Apprendre à un malade à se traiter lui3même et l’installer à domicile était de sa part un engagement à une disponibilité totale allant au3delà de la relation patient3malade habituelle. Chaque dialysé savait qu’il pouvait compter sur Alain quelles que soient les circonstances, le lieu, le jour ou l’heure, et cette proximité chaleureuse, ressentie comme une garantie par les malades, a été un des éléments du succès du programme de DP dont il eu la charge au sein de l’Association pour l’Installation à Domicile des Epurations Rénales (AIDER).
Pour conclure, j’ajouterai que le caractère passionné d’Alain s’est aussi manifesté dans sa vie professionnelle. Son perfectionnisme dans la mise en œuvre des diverses techniques de DP n’a jamais été remis en cause et l’a conduit à un certain isolement par rapport aux autres membres de l’équipe néphrologique montpelliéraine, isolement facilité par la distance séparant le service de néphrologie du centre d’éducation et de repli. Cette distance, qui fut initialement géographique, se doubla au fil des ans d’une divergence marquée entre l’équipe hospitalo3universitaire et Alain quant à la place que la DP doit occuper dans un programme de traitement de l’IRC. C’est avec tristesse que je mentionne ces faits : ils font partie de notre histoire. Cette histoire, Alain et moi l’avons partagée pendant 35 ans et j’ai été parfois amené à en être le modérateur. Malgré les inévitables difficultés survenues au cours d’une si longue collaboration, difficultés qui n’étaient pas toujours de son fait, Alain restera pour moi ce collaborateur ardent, médecin passionné de perfection thérapeutique, totalement dévoué à ses patients, d’une amitié toujours fidèle au3delà même de désaccords passagers. Que là où il est, il puisse trouver le repos après toutes ces années de combat au service de ses malades !
Professeur Charles Mion.