Eloge par Y. Pirson - Réponse de Ch. van Ypersele - diaporama
Chers Collègues,
Chers Amis,
Les membres du Conseil d’Administration m’ont fait un immense plaisir en me proposant de remettre ce soir la médaille Jean Hamburger au Professeur Charles van Ypersele de Strihou. Non seulement parce qu’il fut mon maître et celui de tant d’autres néphrologues (dont plusieurs sont dans cette salle) mais surtout parce que l’évocation de son parcours peut aujourd’hui encore nous donner des repères et inspirer les plus jeunes.
C’est en essayant de comprendre les désordres hydro-électrolytiques de malades observés au cours de son cursus d'interniste que Charles van Ypersele s’intéresse à une spécialité qui est encore à ce moment dans les limbes : la néphrologie. Nous sommes fin 1959, et tout naturellement c’est à Necker, chez Jean Hamburger, qu’il entame sa formation. Il y est séduit par l’enseignement clinique du maître et la découverte, avec Renée Habib, de l’anatomopathologie. Il y rencontre, (vous les reconnaissez peut-être sur cette photo) Méry, Crosnier, Funck-Brentano, et aussi, n’apparaissant pas sur ce cliché, un certain Gabriel Richet, qui avec J. Hamburger va l’encourager à compléter sa formation à Boston. C’est là, sous la direction de Bill Schwartz qu’il va y apprendre, pendant 2 ans, la rigueur et l’exigence de la recherche.
Revenu dans son Alma Mater, Charles van Ypersele fonde simultanément un service clinique de néphrologie et une unité de recherche, car il est convaincu, et nous convaincra tous, de la nécessité d’un dialogue constant entre clinique et recherche. Il aime nous apprendre à nous fonder sur l’observation clinique pour poser une question au chercheur et tester une hypothèse. Exemple : avec son technicien André Stragier, il remarque, dès 1969, que les dialysés binéphrectomisés ont des besoins transfusionnels nettement supérieurs aux dialysés qui gardent leurs reins et il postule dès lors l’existence d’un facteur érythropoïétique rénal. Prophétique, non ?
Prophète, il l’est aussi dans sa conception de la mission du néphrologue. Alors que certains pensent dans ces années-là que la dialyse n’est qu’un rein « tout à fait artificiel » , il affirme que les traitements de suppléance rénale font partie intégrante de la néphrologie. Avec son collègue chirurgien Guy Alexandre, il met aussi sur pied, dès 1963, un programme de transplantation rénale.
Mais je vais en rester là pour l’historique, si vous le voulez bien, car ce n’est pas d’un CV, fût-il brillant, dont je voudrais désormais vous entretenir mais plutôt du maître.
Cher Monsieur van Ypersele, vous avez été un maître qui, d’abord, fait confiance.
Très vite, vous identifiez des collaborateurs à qui vous confiez le suivi des greffés, la dialyse en centre et aussi, car vous êtes un des premiers à y croire, parce que vous faites aussi confiance au malade, la dialyse à domicile. Vous accordez aussi une grande confiance aux paramédicaux que vous engagez en hémodialyse. Et j’aime beaucoup cette photo où vous entraînez d’un même pas votre infirmière-chef et votre technicien : nous sommes à Florence en 1972 : vous venez de fonder, avec Stanley Shaldon, l’EDTNA, qui apportait aux paramédicaux de dialyse une reconnaissance inédite pour l’époque.
Un maître qui fait confiance, mais qui, en retour, exige.
Exigence dans la démarche clinique :
Au fond ….l’evidence-based medicine … avant la lettre.
Exigence dans la communication scientifique : le « J’ai relu ton papier hier soir, c’est quand tu veux » ou le « Quand nous montres-tu ta présentation ? » annonçaient un exercice souvent redouté, toujours stimulant, et ô combien formateur.
Un maître qui a aussi été un pontife : oh, pas au sens souverain où certains pourraient l’entendre, mais au sens étymologique : pontifex, le faiseur de ponts. Vous aimez en effet jeter des ponts, vers d’autres disciplines qui peuvent enrichir la nôtre. Vers les radiologues, que vous intéressez aux lésions osseuses de l’amylose du dialysé, vers les orthopédistes, que vous amenez à définir une stratégie de traitement de la nécrose osseuse du greffé, vers les virologues qui vont identifier le virus responsable d’une néphrite interstitielle aiguë jusque là mystérieuse, que vous décriviez dans un Néphrology Forum de 1979 et dont vous ferez le point 10 ans plus tard avec Jean-Philippe Méry dans un article faisant toujours référence aujourd’hui.
Des collaborations, vous en suscitez aussi dans notre communauté néphrologique, en mettant sur pied des études multicentriques qui elles aussi feront date.
L’éméritat ne met un terme ni à votre insatiable curiosité ni à votre plaisir de tester avec des plus jeunes de nouveaux concepts. Comme chez les grands peintres, vous traversez seulement des périodes d’influence et aujourd’hui, à la faveur des produits de la glycation des protéines et de votre collaboration avec Toshio Miyata, vous êtes en pleine période japonisante.
Ce tableau trop rapidement brossé, je voudrais le terminer en évoquant l’enseignant et le tuteur.
Vous avez la passion de faire comprendre. Explorant avec autant d’aisance les anfractuosités d’un trou anionique ou les méandres d’une présentation clinique complexe, vous aurez appris à des générations d’étudiants et d’internes à trier les indices et à les classer et à formuler des hypothèses logiques, puis à soumettre une proposition thérapeutique au crible de l’analyse décisionnelle, que vous affectionnez.
Mais vous nous avez aussi enseigné ce qui ne s’enseigne pas, mais se voit et se vit au lit du patient : un profond respect pour la personne malade, dont vous faisiez toujours un partenaire actif de toute décision diagnostique ou thérapeutique.
Mais ce n’est pas tout. Vous avez toujours pensé que recevoir un enseignement d’un enseignant donné ne suffisait pas. Vous vouliez que chacun puisse, comme vous, goûter aux joies de la recherche personnelle et comme vous le disiez « aller voir ailleurs »
Président de notre Société de 1991 à 1993, vous avez, dans cette optique, donné une impulsion décisive, avec Françoise Mignon, à un programme d’allocations de recherche dont nous bénéficions encore aujourd’hui.
Président de l’European Society of Clinical Investigation, vous avez créé un schéma d’échange ayant permis à près de 300 internes européens de passer un semestre à l’étranger.
Et puis vous le savez, Charles van Ypersele n’est pas qu’un médecin ou un professeur, c’est aussi un humaniste, passionné par l’histoire des hommes, par leur plume et par leur palette et toujours prêt à partager avec vous, par exemple autour d’une bonne table, ce qui le comble de joie : « une bonne conversation ».
Cher Monsieur van Ypersele, merci d’avoir tant apporté à la néphrologie et à tant de néphrologues. Notre Société est fière de vous remettre aujourd’hui la médaille Jean Hamburger.