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numéro 1

Des Ténèbres à la Transplantation, les débuts de la Néphrologie à Necker (1951-1960)

Par Jean Crosnier de l'Académie Nationale de Médecine

 

Le Professeur Jean Hamburger est décédé en février dernier. Avec lui disparait l'un de ceux qui ont créé la Néphrologie contemporaine. Le Professeur Jean Crosnier, à ses côtés pendant trente ans et directement associé à toutes les aventures intellectuelles de Necker est mieux placé que quiconque pour évoquer les débuts du service de Jean Hamburger vers lequel convergèrent aussitôt les regards de la Néphrologie mondiale. Nous l'en remercions.

Gabriel Richet.

 

Fin 1950, la Néphrologie parisienne moderne naissait tout juste dans la grande clinique de l'Hôpital Broussais chez Pasteur Vallery-Radot et dans l'unité dirigée par Maurice Dérot à l'Hôtel Dieu. Jean Hamburger quittait alors la Maison Mère de Broussais pour un modeste service de Médecine Générale à l'Hôpital Necker. Les conditions étaient celles d'alors dans tous les Hôpitaux de Paris et sans doute d'Europe. Une petite équipe, un adjoint, deux internes et huit externes, des locaux étroits, un seul bureau pour le chef de service et les autres médecins, où s'accumulaient les dossiers et la documentation, deux pièces de dix mètres carrés pompeusement appelées "laboratoires", une autre à peine plus grande où se tenaient toutes les activités communes et les consultations externes, la salle d'attente étant le palier du monumental escalier de cet ancien couvent. Les malades, une centaine, étaient entassés dans deux salles communes, les lits se touchant. Même dans les rares boxes, il était pratiquement impossible d'installer un appareillage technique ou de mener une thérapeutique lourde alors que ceux-ci faisaient irruption en médecine.

 

L'itinéraire intellectuel

Les dix années au cours desquelles J. Hamburger a construit le centre de Néphrologie sont parsemées d'épisodes anecdotiques correspondant à autant de situations critiques, insoutenables moralement et aujourd'hui inimaginables. Les évoquer aurait peu d'intérêt. En revanche, on doit s'attacher au cheminement de la pensée du service qui a obéi à une logique étroitement associée à l'évolution des connaissances et aux progrès de la technique. Nous nous limiterons ici aux principales étapes qui, souvent entremêlées, ont abouti en 1959-60 à la Transplantation Rénale, grande oeuvre de l'Hôpital Necker.

 

Les troubles hydro-électrolytiques

Tout avait débuté à Broussais par l'étude de l'équilibre hydra-électrolytique dans les maladies rénales, au moment où ce chapitre de la physiologie devenait accessible aux cliniciens en raison des progrès des connaissances et de l'apparition des premiers photomètres à flamme. La reproduction expérimentale des troubles de l'hydratation cellulaire, l'intoxication par l'eau (hyponatrémie) ou la déshydratation cellulaire (hypernatrémie), et l'observation de leurs effets rénaux conduisirent Jean Hamburger à rechercher dans un cas d'anurie prolongée, en principe réversible, de telles anomalies, à les corriger et à provoquer ainsi la reprise des fonctions rénales. Fort de ce succès, il poursuivit ses travaux au laboratoire tout en élargissant le champ de son investigation clinique. Il ne faisait qu'appliquer le principe que la bonne médecine exige une recherche conjointe. Necker devint alors le premier centre français où, dans toute la pathologie mais spécialement en Néphrologie, les désordres hydro-électrolytiques étaient dépistés, analysés et traités. Les succès obtenus valurent au service un afflux de patients de tout le territoire et même de l'étranger.

 

Les insuffisances rénales aiguës et la dialyse

Parmi les cas venant à Necker se trouvaient nombre d'anuries, toxiques, infectieuses post-opératoires, post-abortum ou médicales soit encore immunologiques tels les accidents des transfusions qui étaient alors nombreux. Le contrôle des apports d'eau et de sel était inefficace pour corriger toutes les anomalies humorales exposant à un risque létal. Il fallait donc soustraire de l'organisme ce que le rein n'éliminait pas, temporairement, puisque l'expérience de la guerre avait enseigné que de telles atteintes rénales pouvaient être spontanément réversibles. Le service était bien préparé à utiliser la dialyse, dont l'intérêt était encore mis en doute. En effet, les premiers essais de ce traitement avaient montré que la rétention d'urée n'était qu'un élément du syndrome humoral, sans doute moins dangereux que l'hyperkaliémie, l'acidose ou l'hyperhydra- tation etc., toutes causes fréquentes de mort. Et ce domaine était celui qui avait

fait la réputation de Necker.

 

Dès l'arrivée à Necker, la dialyse intestinale fut mise en oeuvre, peu puissante, prolongée des heures, pénible pour le patient et nécessitant une surveillance humorale continue. En effet, la perfusion dans le jéjunum de 4 litres par heure n'était pas sans aléas en raison des modifications incessantes du temps de transit et de l'emplacement de l'extrémité de la sonde, modifiant et les passages passifs à travers la paroi intestinale et encore plus les transferts actifs. Des succès enivrants ont été acquis, contrebalancés par encore plus d'échecs. Aussi est-ce avec soulagement que fut saluée la mise en service du Rein Artificiel de Kolff-Merrill en novembre 1954 qui, l'expérience aidant, fut bientôt quelque peu amélioré et appelé Necker. Le pronostic des insuffisances aiguës réversibles fut transformé.

 

 

Alors que la Néphrologie était une discipline presque désarmée jusqu'en 1950, en quatre ans elle entra dans l'ère thérapeutique avec la maîtrise des désordres hydro-électrolytiques et la dialyse par le rein artificiel. Libérée de l'angoisse de l'impuissance devant l'urémie aiguë, fonctionnelle et surtout organique, la Néphrologie pouvait à nouveau aller de l'avant.

 

Elle n'a pas manqué de le faire à Necker ainsi que dans bien d'autres équipes qui, entre temps, s'étaient développées ou créées sur tout le territoire.

 

La Réanimation Médicale

Les nouvelles thérapeutiques étio-pathogéniques de l'après guerre, larges interventions chirurgicales, transfusions, antibiotiques et autres chimiothérapies, avaient mis en évidence le paradoxe entre la guérison espérée par suppression de la cause et de la mort due aux effets secondaires de la maladie frappant les fonctions vitales. Mais ces atteintes viscérales, aussi sévères fussent-elles, pouvaient n'être que temporaires, réversibles. Alors des méthodes de suppléance devaient aider à passer le cap. La plupart des insuffisances rénales aiguës et des désordres graves de l'équilibre hydro-électrolytique s'inscrivent dans ce schéma. Rien de surprenant alors que Jean Hamburger fut de ceux qui transformèrent ces observations physiopathologiques en une discipline, la Réanimation Médicale. Celle-ci tira bénéfice d'avancées techniques permettant de suppléer les fonctions respiratoires et circulatoires, cardiaques et de corriger les anomalies de la masse sanguine, ainsi que du contrôle de la coagulation et de la nutrition.

 

Pour mener à bien la tâche qu'elle s'imposait, l'équipe de Jean Hamburger se forma avec enthousiasme à la maîtrise des mécanismes physiologiques régulateurs et de l'appareillage de surveillance comme de suppléance des fonctions vitales. En même temps l'organisation hospitalière du service de Necker s'adapta, regroupa les appareils d'exploration ou de traitement, se familiarisa avec leur fonctionnement et bien entendu adopta le plein temps.

 

Il est peu d'évènements qui ait changé aussi profondément l'exercice et l'esprit de la médecine que la naissance de la réanimation. Pour en juger il suffit de se rappeler le succès de l'ouvrage signé par Jean Hamburger et toute l'équipe de Necker : Technique de Réanimation Médicale et de Contrôle de l'Équilibre Humoral en Médecine d'Urgence, paru en 1954, réédité et traduit en plusieurs langues. Et en France les services de soins intensifs se multiplièrent, pas un hôpital ne pouvant remplir ses fonctions en leur absence.

 

Mieux connaître les Néphrites par la biopsie rénale fut l'objectif suivant. Sous l'impulsion de Jean Hamburger, Necker devint le centre de Néphrologie où l'étude des biopsies rénales fut poussée avec le plus de souci d'aboutir à des résultats cliniquement exploitables. Iversen et Brun avaient, au Danemark, "osé" biopsier le rein à l'aiguille. Pour tirer le meilleur parti de cette exploration, J. Hamburger décida de l'utiliser avant tout pour connaître les lésions initiales des néphrites et pour suivre corrélativement l'évolution des altérations histologiques comparée à celle des signes cliniques. Ce plan pouvait être réalisé dans des limites de temps raisonnables en raison du recrutement de Necker vers lequel convergeaient des patients de bien des régions extra-parisiennes et de l'étranger. A l'examen photonique, il ajouta systématiquement celui en microscopie électronique. La moisson fut abondante et fructueuse, rapidement rassemblée, marquant l'histologie, la pathologie et la nosologie rénales. S'il fallait ne retenir qu'un fait, ce serait l'individualisation en électronique des cellules mésangiales normales et altérées à un moment où n'étaient prises en compte que les cellules épithéliales et endothéliales du glomérule. Une nouvelle Néphrologie clinique naissait et le nom de Jean Hamburger fut bientôt connu comme celui de l'un de ses Maîtres. Elle se développera plus tard avec l'étude, selon une logique identique, des dépôts d'immunoglobulines et de complément dans le glomérule.

 
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