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numéro 2

Sel et hypertension génétique du rat

 

Par Drori Ben-Ishay

The Hypertension Unit

Hadassah University Hospital

Mount Scopus

Jerusalem - 91240 Israël

 

Après avoir commencé ses études à Strasbourg, D. Ben-Ishay obtint son Doctorat à l'Université Hadassah de Jérusalem en 1957. Un séjour dans le laboratoire de L.K. Dahl comme boursier du NIH à Brookhaven (U.S.A.) décida de son orientation vers l'hypertension artérielle, humaine et expérimentale. Ses recherches ont avant tout porté sur une race de rats, dite Sabra, d'hypertension génétique dépendant du sodium, comparée à une race témoin identique mais normotendue malgré des apports sodés conséquents.

Le Professseur Ben-Ishay est membre du Comité de Rédaction du Journal of Hypertension, du Council for High Blood Pressure Research of the American Heart Association ainsi que des European and International Societies of Hypertension.

 

Introduction

Les liens entre l'hypertension artérielle et le sel ont été largement explorés en clinique puis en pathologie expérimentale. Parmi les souches de rats génétiquement hypertendus à côté de celles où l'hypertension est spontanée, purement congénitale, il en est où des facteurs extérieurs jouent aussi un rôle déterminant. Le présent article trace l'historique des souches de rats dont l'hypertension dépend d'un apport prolongé de sel.

 

De l'homme au chien puis au rat

Dans les années trente, les anatomo­pathologistes considéraient les lésions scléreuses des artérioles afférentes glomérulaires vues à l'autopsie comme pathognomoniques d'une hypertension chronique. L'hypothèse fut alors avancée que l'ischémie expérimentale du rein aurait le même effet que la lésion des artérioles et provoquerait l'hypertension. Goldblatt le démontra en 1934 chez le chien et l'hypertension artérielle fit son entrée en pathologie expérimentale.

 

En 1938 apparut la méthode non sanglante de mesure de la pression dans l'artère de la queue du rat, promu aussitôt animal de choix pour l'étude expérimentale de l'hypertension artérielle. Jusqu'au milieu des années cinquante, l'hypertension était obtenue soit par la chirurgie, avant tout par sténose d'une ou des deux artères rénales, soit par l'administration de corticostéroïdes, syndromes fort éloignés de l'hypertension de l'homme. Tout changea lorsque fut individualisée une première souche de rats spontanément hypertendus (SH) par Smirck à l'Université Otago en Nouvelle Zélande.

        

Les souches de rats dont l'hypertension est spontanée, indépendante de tout facteur extérieur

La souche de Smirk ne doit rien au hasard. Ce chercheur en effet a entrepris le dépistage systématique de l'hypertension au sein de son élevage. La plupart des rats de sa colonie avaient une pression artérielle systolique inférieure à 125 mmHg. Chez quelques-uns elle était supérieure. Il accoupla alors des sujets où elle dépassait 140 mmHg. Croisant les descendants les plus hypertendus, il créa une souche d'animaux dont la pression moyenne était de 176 mm Hg à l'âge de 10 semaines. Ce travail publié en 1958 fut très remarqué car il offrait enfin un modèle de maladie hypertensive animale spontanée assez proche de celle observée en clinique. Dans les deux décennies qui suivirent, de nombreuses souches furent isolées dans maintes animaleries. Le tableau 1 en donne la liste.

 

La plus connue est sans conteste la japonaise SHR (Spontaneous Hypertensive Rats) isolée dans les années soixante par Okamoto et Aoki. Ces chercheurs mesurèrent la pression artérielle de centaines de rats Wistar de l'élevage de l'Université de Kyoto, un mâle et une femelle hypertendus étant retenus pour initier la colonie. En six générations, par sélection des procréateurs, fut obtenue une souche d'hypertendus, véritablement consanguine à la vingtième génération. Avec la même méthode, ils créèrent une souche Wistar Kyoto (WKY) de rats normotendus, témoins indispensables à toute expérimentation avec le SHR.

 

Des milliers de travaux ont été menés sur les SHR et leurs témoins WKY. Depuis plus de vingt ans, des rats issus de la souche originelle sont élevés de par le monde. Toutefois certaines souches dérivées ont évolué du fait de mutations spontanées donnant autant de variétés génétiques. On doit donc tenir compte d'une éventuelle dérive entre les élevages concernés quand sont comparés les résultats de deux laboratoires. Parmi les souches dérivées, la plus remarquable est celle dite SHR SP (SHR Stoke Prone), sélectionnée à partir de l'élevage de Kyoto, où l'hypertension est élevée, précoce et maligne avec mort par hémorragie cérébrale chez 80 % des rats à l'âge de 9 à 13 mois.

 

Souches dont l'hypertension est sodium dépendante

Sapirstein en 1950 fut le premier à provoquer une hypertension artérielle chez des rats albinos en leur donnant pour seule boisson une solution salée hypertonique; une observation isolée, scientifiquement peu exploitable en l'état. Trois ans plus tard, Meneely et coll. étudièrent l'effet sur des rats Sprague Dawley d'un régime usuel additionné de 0,01 % à 9,8 % de sel et nota une augmentation fort inégale de la pression artérielle. Certes, celle-ci était corrélée avec l'apport salin mais les écarts individuels étaient larges parmi les rats soumis à une même ration sodée. Le fait méritait attention.

 

La souche Dahl

Lewis Dahl soupçonna que les variations de la réponse hypertensive au sel des rats de Meneely dépendaient d'un facteur génétique. Pour vérifier l'idée, Dahl soumis une colonie de Sprague Dawley à un supplément de NaCl, accouplant les rats devenus hypertendus d'un côté et ceux restés normotendus de l'autre, génération après génération. Il obtint ainsi deux souches de rats différant par leur pression artérielle, sensible au sel DS ou résistante au sel DR. La sélection des deux souches est patente dès la troisième génération. Quand les rats DS sont nourris avec une alimentation pauvre en sodium (0,37 % NaCI), leur pression artérielle demeure normale, inférieure à 140 mmHg, bien que légèrement supérieure à celle des rats DR. Quand les rats DS reçoivent un supplément de sel, ils deviennent franchement hypertendus alors que les rats DR restent normotendus. La rapidité d'apparition de l'hypertension, le chiffre atteint et la sévérité de son retentissement dépendent de l'apport sodé et de l'âge auquel il a débuté.

 

Initialement Dahl procédait à des accouplements frère-sceur. Pour éviter les inconvénients d'une consanguinité trop poussée, il introduisait dans son élevage des sujets extérieurs. Ainsi la souche originale de Dahl élevé à Brookhaven (Etats­Unis) n'a-t-elle pas l'homogénéité exigée pour parler de lignée pure.

 

Voulant obtenir une lignée génétiquement pure, John Rapp de Toledo aux U.S.A. partit de rats du laboratoire de Dahl, DR et DS, les fit se reproduire entre frère et sceur pendant 20 générations et réalisa ainsi deux souches strictement consanguines, sensible au sel (SS/JR) et résistante au sel (SR/JR).

 

La souche Sabra

Son apparition fut le fruit d'un avatar heureux comme seule l'expérimentation peut en faire naître. Au laboratoire nous avions noté les comportements différents des rats DR et DS. En général les DS étaient moins ardents que les DR dans la lutte pour accéder à l'eau après épreuve de soif et moins agressifs en réponse à une douleur vive. Se dégageait alors une curieuse association entre comportement et pression artérielle, à rapprocher de l'inhibition de la combativité des hypertendus signalée en clinique.

 

La susceptibilité à l'hypertension par apport salin était-elle génétiquement liée au comportement passif ou était-on en présence d'une association fortuite de deux caractères héréditaires ? Pour répondre, nous voulions explorer d'autres rats hypertendus. C'était en 1968 et les seules souches alors existantes, Néo Zélandaise et SHR, n'étaient pas commercialement accessibles. Aussi décidâmes­nous de produire deux lignées de rats, sensibles et résistantes au sel, à partir des rats dits Sabra de l'animalerie de l'Université Hébraïque, colonie mêlant des sujets d'origines diverses.

 

Des rats uninéphrectomisés ont été soumis à des injections répétées d'acétate de deoxycorticostérone (DOCA) combinées à l'addition de 1 % de NaCI à l'eau de boisson pendant quatre semaines (Fig. 1). Furent alors accouplés systématiquement les rats dont la pression artérielle était la plus haute d'une part et ceux chez qui elle était la plus basse d'autre part. A la sixième génération, deux lignées pouvaient être séparées selon l'apparition (H) ou non (N) d'une hypertension sous DOCA et NaCI. Bien entendu les deux lignées furent éprouvées quant à leur comportement spontané et après agression. Nous n'avons mis en évidence aucune différence, ce qui infirmait l'hypothèse initiale. A ce point de vue l'échec était flagrant. En revanche, nous avions créé une nouvelle colonie de rats faite de deux souches, l'une dont les animaux sont hypertendus sous alimentation riche en sodium (SBH) et une autre où ils restent normotendus malgré un apport sodé identique (SBN). Cette double souche fut présentée en 1972. Chronologiquement elle se place comme l'indique le Tableau 1.

 

L'HTA génétique sodium dépendante n'étant pas une exception, il pouvait être fructueux d'analyser les souches dont nous avions la maîtrise, Dahl et Sabra, et de les comparer avec celles où l'HTA génétique est spontanée, indépendante apparemment de toute intervention extérieure.

 

 
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