Professeur Emérite de la Médecine Interne de la
Policlinique de Médecine de l'Université de Berne
44 chemin du Village
1012 Lausanne, Suisse
Né en 1917 à Neuchâtel (Suisse), diplômé en 1941, est depuis 1954 professeur de médecine interne et médecin-chef de la Policlinique de Médecine de l'Université de Berne. Intéressé dès le début de son activité scientifique par les maladies des reins et l'hypertension artérielle - il s'était initié en 1947-48 aux Etats-Unis aux techniques modernes - , il a créé un centre néphrologique et cultivé d'étroites relations avec les Sociétés Européennes de néphrologie et présidé les Sociétés Française, Allemande et Suisse. Depuis sa retraite (1986), il s'occupe d'histoire de la médecine, de sinologie et d'art asiatique.
Né en Allemagne près de Trèves, K.W. Zimmermann se destinait à la peinture. Après son baccalauréat, lorsque son père eut obtenu qu'il entre à l'université, il opta pour la Faculté de Droit, qui lui permettait de suivre les cours de l'Académie des Beaux-Arts de Berlin. Six mois plus tard, il abandonnait le droit pour la médecine, s'étant senti attiré par l'anatomie et l'histologie, branches auxquelles il devait se consacrer entièrement par la suite. Après quelques années d'assistance en Allemagne il vint à Berne en 1894, comme chef des travaux à l'Institut d'Anatomie. I1 ne devait plus changer de résidence.
Professeur extraordinaire en 1898, il devint professeur ordinaire et directeur de l'Institut en 1927. Ayant pris sa retraite en 1933, il succomba 2 ans plus tard à une affection cardiaque (Fig.1 ).
Aux dires de ceux qui l'ont connu, Zimmermann était une figure attachante. En le voyant dessiner au tableau noir, on se souvenait qu'il avait voulu être peintre. Ses talents picturaux sont aujourd'hui encore reconnaissables à la qualité des dessins qui illustrent ses publications.
Brillant causeur, il faisait aussi des vers et composait des mélodies qu'il ne montrait qu'à ses amis intimes. I1 adorait la Suisse, dont il avait acquis la nationalité en 1900, et pendant des années, il la parcourut à pied ou à bicyclette.
Son oeuvre scientifique frappe par sa diversité plus que par le nombre (32) de ses travaux. I1 s'agit le plus souvent d'anatomie comparée. Ce sont, par exemple, le corps vitré et le glomus caroticus de la grenouille, les cellules pigmentaires des poissons, la muqueuse gastrique ou le myocarde de l'homme qui ont retenu son attention. On ne trouve que 4 travaux consacrés à l'histologie du rein. A notre époque d'indispensable spécialisation, on pourra s'étonner que d'aussi importantes contributions à la morphologie rénale aient été le fait d'un anatomiste oeuvrant dans tous les domaines de sa discipline. Le premier de ces travaux date de 1911, le second de 1915 ; tous deux décrivent la structure particulière des épithéliums du floculus, comprenant trabécules et pédicelles. Le troisième, de 1929, donne la première description irréfutable du mésangium et mentionne la macula densa. Le quatrième, de 1933, reprend et développe les descriptions des précédentes en y ajoutant celle du "Polkissen".
Avant Zimmermann, la plupart des auteurs considéraient que les noyaux visibles au niveau du floculus étaient exclusivement endothéliaux et épithéliaux. Il est vrai qu'une opinion divergente avait été exprimée en 1876 par Edwin Klebs (1834-1913), professeur d'anatomie pathologique à Berne. Etudiant les glomérules dans la néphrite scarlatineuse, il notait l'accroissement de noyaux plus petits que ceux des cellules épithéliales et y voyait ceux d'un tissu interstitiel déjà présent dans le rein normal. Cependant son successeur à la chaire de Berne, Th. Langhans (1839-1915), s'inscrivait en faux contre cette interprétation : ces noyaux étaient endothéliaux et il n'y avait pas de tissu conjonctif dans le glomérule. Cette opinion prévalut généralement. Dans leur monographie de 1914, F. Volhard et T. Fahr notent que dans la néphrite aiguë l'hypercellularité glomérulaire concerne les endothéliums, les polynucléaires et, dans une moindre mesure, les épithéliums.
W. von Möllendorff (1887-1944), qui passait à l'époque pour le meilleur connaisseur de l'histologie rénale, avait publié en 1927 et 1928 des descriptions du glomérule qui reflétaient l'opinion générale, c'est-à-dire l'absence de tissu de soutien. C'est ce qui incita Zimmermann à faire connaître en 1929 sa propre conception. L'illustration qui accompagne son texte (Fig. 2) montre clairement la présence d'un tissu intercapillaire. Les anses sont revêtues à la périphérie d'un épithélium continu, mais au centre du floculus elles sont en contact direct avec le mésangium, sans interposition d'un épithélium.
Si l'on tient compte de l'insuffisance des méthodes de l'époque, cette découverte ne peut que susciter l'admiration. Elle aurait dû, semble-t-il, emporter l'adhésion. Il n'en fut rien. Certes, von Möllendorff se laissa convaincre à demi et à contre-coeur, et Mc Callum ainsi que Kimmelstiel et Wilson adoptèrent le nouveau point de vue. Mais dans leur majorité, les anatomistes et anatomo-pathologistes refusèrent au mésangium le droit à l'existence. Même l'apparition de la microscopie électronique ne mit pas fin à la controverse. Si Oberling et coll. appuyèrent le concept du tissu interstitiel, le groupe de Farquhar commença par s'y opposer (1953 et 1957).
C'est pourquoi on lit avec plaisir un article de N. Goormaghtigh, paru en 1951, où l'auteur écrit : "Je fus un des premiers à répandre la conception de Zimmermann dans le monde des anatomo-pathologistes, avec un succès d'ailleurs relatif. "Et plus loin : "Dans la glomérulonéphrite, l'augmentation des noyaux du floculus ne résulte pas d'une prolifération endothéliale, mais de celle des cellules du mésangium".
Anatomiste, Zimmermann s'était contenté de décrire le mésangium sans se demander s'il avait une fonction autre que de soutien. Or, en 1962, Farquhar et Palade purent montrer que de grandes molécules non filtrables circulant dans les anses, comme la ferritine, étaient captées par le mésangium, dont le pouvoir de phagocytose semblait ainsi démontré.
Parallèlement, un nombre croissant d'affections glomérulaires furent recensées, où le mésangium est impliqué au premier chef (néphrites à dépôts mésangiaux d'IgA, néphrites lobulaires, glomérulo-sclérose diabétique). On lira avec profit 2 mises au point sur l'état de la question en 1962 (P. Michielsen) et en 1965 (P. Mériel et coll.)
Dès les années 70, la possibilité de cultiver les cellules mésangiales in vitro a beaucoup enrichi nos connaissances. Une propriété importante de ces cellules est leur contractilité. Une contraction cellulaire peut être produite entre autres par l'angiotensine II et la noradrénaline (Singhal).
In vivo ce phénomène est susceptible de diminuer la filtration glomérulaire en réduisant la surface filtrante (Simonson). On a montré que ces cellules formaient en particulier des prostaglandines (Sraer). Le pouvoir de phagocyter n'est plus considéré comme l'apanage des cellules mésangiales mais comme celui de cellules monocytoïdes peu nombreuses dérivées de la moëlle osseuse (Kreisberg). On s'efforce actuellement de définir les facteurs qui contrôlent la prolifération des cellules mésangiales. Celles-ci suscitent toujours encore un intérêt considérable parmi les chercheurs.
Pour plus de clarté, nous rappelons la structure de cet appareil (Fig. 3, voir aussi le symposium édité par K. Thurau). Elle comporte 3 éléments :
1. Juste avant son entrée dans le glomérule, l'artériole afférente présente dans sa paroi des cellules épithélioïdes avec grains de sécrétion;
2. Dans le triangle compris entre les vaisseaux afférent et efférent se situe un amas de cellules agranulaires (cellules de Goormaghtigh ou du lacis);
3. Le tube distal présente un accroissement marqué mais circonscrit du nombre des noyaux, du seul côté où il est en contact avec le lacis ou l'artériole afférente (macula densa).
En 1925 JHC Ruyter décrivit des cellules d'un type particulier dans la paroi de l'artériole afférente de la souris. Deux ans plus tard, c'est chez l'homme que Oberling mentionnait l'existence d'une "housse neuro-musculaire au niveau des artères glomérulaires". Pour suivre l'ordre chronologique, précisons que dans son travail de 1929 Zimmermann écrit: "Chez tous les mammifères que j'ai examinés, on trouve à la jonction de la branche ascendante de l'anse de Henle avec l'artère afférente un accroissement considérable du nombre des noyaux épithéliaux d'un seul côté du tube. Depuis longtemps j'appelle dans mes cours cette structure macula densa". Ce travail ne fait encore aucune mention du Polkissen.
C'est en 1932 que le Belge Norbert Goormaghtigh (1890-1960) retrouve la housse qui avait frappé Oberling et décrit les cellules du lacis, attribuant à ce dispositif un rôle dans la régulation du flux sanguin glomérulaire. Le terme de Polkissen (coussin polaire) apparaît pour la première fois sous la plume de Zimmermann dans son travail de 1933. Comme l'éditeur indique en tête de l'article "Reçu le 26 avril 1932", il est évident qu'en l'écrivant Zimmermann ne pouvait connaître la publication de Goormaghtigh. C'est un bon exemple d'une découverte faite simultanément par 2 chercheurs travaillant indépendamment l'un de l'autre.
Zimmermann se réfère tout d'abord à Ruyter et à sa description de cellules granulaires dans la paroi de l'artère afférente de rongeurs. Il rapporte ensuite ses observations chez l'homme et différents animaux.
Ce sont essentiellement des amas de cellules claires sans granulations, situés entre les artérioles et la macula densa, qu'il dessine. Il leur donne le nom de Polkissen et considère qu'ils font partie de la paroi de l'artériole afférente. Il note des formes de passage entre les cellules musculaires lisses de l'artère et les cellules claires du Polkissen. Il ne mentionne nulle part la présence de granulations. Il apparaît, lorsqu'on examine attentivement ses illustrations (Fig. 4), que le Polkissen est constitué principalement par les cellules du lacis. L'absence de granulations dans celles des cellules qui font sûrement partie de la paroi artériolaire s'explique par la technique de coloration utilisée (Azan ou éosine-bleu de méthylène). Chez l'homme, les grains de sécrétion ne peuvent être décelés qu'à l'aide d'une coloration spéciale (Bowie) ou par le microscope électronique.
Tel qu'il est, l'article de Zimmermann laisse planer des incertitudes sur la nature de son Polkissen. Il s'en rendait compte lui-même et écrivit dans ses conclusions : "II serait souhaitable que d'autres examinent la structure cytoplasmique fine de cet étrange dispositif à l'aide de coupes sériées et définissent sa fonction". Il prenait sa retraite à ce moment-là et n'avait plus la possibilité de poursuivre ses recherches.
C'est Goormaghtigh qui devait reprendre le flambeau. Deux ans après la mort de Zimmermann, il proposait une interprétation de l'appareil juxtaglomérulaire qui intégrait ses 3 éléments : la macula densa serait une plaque sensorielle transmettant à l'artériole afférente des informations concernant l'urine tubulaire. En 1939, puis de nouveau en 1945, il parlait d'une "glande endocrine dans la paroi des artérioles rénales" et présumait que les cellules à granulations formaient de la rénine.
Cette hypothèse audacieuse, vérifiée plus tard dans ses grandes lignes, n'eut assez longtemps que peu d'audience. Mais à partir de 1960 l'intérêt pour la rénine et l'appareil de Goormaghtigh monta en flèche. La démonstration que l'angiotensine II stimulait la production d'aldostérone, la possibilité de mesurer dans le plasma l'activité rénine et l'angiotensine II, la pratique courante des biopsies rénales, la mise en évidence d'hypertensions artérielles à haute activité rénine, tout ceci remit ce système complexe au premier plan des préoccupations cliniques. Parallèlement, Thurau et son groupe montraient à l'aide de microponctions chez le rat que la composition électrolytique de l'urine distale modulait dans certaines limites la filtration glomérulaire, confirmant ce que Goormaghtigh avait pressenti.
On ne peut s'empêcher de comparer les 2 formes d'esprit de Zimmermann et de Goormaghtigh. En décrivant ces diverses structures, le premier n'a pas tenté de leur attribuer une fonction. Il est même assez surprenant de lire sous sa plume, à propos de la macula densa, qu'elle est un bon exemple d'une prolifération cellulaire due à une irritation mécanique, à savoir les pulsations de l'artériole afférente. Cela revient à dire qu'elle n'a aucune signification particulière. Nous ne savons pas si Zimmermann s'était posé d'autres questions. Si c'était le cas, il aurait alors renoncé à inclure dans une étude purement descriptive des hypothèses incontrôlables. Ce serait assez dans sa manière de morphologiste rigoureux et intransigeant.
Goormaghtigh ne connaissait apparemment pas ce genre d'inhibition et il n'a pas hésité à interpréter fonctionnellement ce qu'il observait. Anatomo-pathologiste intéressé par l'endocrinologie, il avait un angle de vision plus large que s'il avait été confiné à l'anatomie normale. Nous devons pourtant remarquer que 5 ans s'écoulèrent entre sa première description (1932) et sa première interprétation théorique (1937).
La prudence de sa démarche se manifeste dans tous ses écrits. Reconnaissons que, telle qu'il l'a élaborée pas à pas, son hypothèse est un des plus beaux exemples d'un concept physiologique et physiopathologique déduit essentiellement d'observations morpho-logiques.