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numéro 4

La microalbuminurie diabétique a trente ans - la belle épopée des anomalies physiologiques précoces de la néphropathie diabétique

Par Carl Erik Mogenen

Département de Médecine - Diabète et Endocrinologie

Aarhus Kommunehospital

8000 Aarhus C., Danemark

 

Le docteur C.E. Mogensen est diplomé de la Faculté de Médecine d'Aarhus en 1967. Il y a poursuivi ses études de troisième cycle, spécialisées en endocrinologie et diabétologie. Depuis 1980, il est Professeur de Médecine à cette même Université.

Ses nombreuses publications, plus de trois cents, portent pour l'essentiel sur les complications viscérales du diabète, sujet qu'il a puissamment contribué à renouveler.

 

Les modifications physiologiques précoces du rein diabétique comportent trois volets : hyperfiltration, microalbuminurie et hypertension artérielle, anomalies qui apparaissent dans cet ordre, même si la triade est souvent déjà constituée à la découverte de la néphropathie diabétique. Au cours de l'évolution, à l'hyperfiltration fait suite une diminution de la filtration glomérulaire (FG), à la microalbuminurie une albuminurie franche révélée par les papiers réactifs et à la légère tendance hypertensive une fréquente élévation franche de la pression artérielle. Tout cela est du domaine de l'acquis, en bonne place dans les précis élémentaires.

 

Pour bien saisir l'ensemble du processus, il faut se souvenir de la chronologie de la mise en évidence de ces anomalies précoces et de leur interprétation. L'hyperfiltration a été la première décrite, suivie par une longue période de latence, sans investigation clinique jusqu'au début des années soixante-dix. L'attention se concentre alors sur la recherche d'une albuminurie minime, bientôt appelée microalbuminurie, dont la valeur prédictive d'une néphropathie s'affirme au début des années quatre-vingt. Enfin, il est avéré que la tendance hypertensive vient presque toujours se surajouter à la microalbuminurie des diabétiques.

 

L' hyperfiltration, étape princeps négligée

La première étude moderne de la fonction rénale, c'est-à-dire en explorant la filtration glomérulaire de diabétiques sans néphropathie décelable, est due à P. Cambier en 1934(1), qui décela une augmentation de la clairance de la créatinine chez sept de ses dix-neuf patients explorés. Toutefois ce résultat ne peut être considéré comme démonstratif d'une hyperfiltration glomérulaire en raison du recours à une surcharge per os en créatinine à une dose qui entraîne chez ses témoins normaux une créatininémie souvent supérieure à 35 mg par litre, chiffre auquel, on le sait maintenant, une sécrétion tubulaire de la créatinine s'ajoute à la filtration glomérulaire de ce déchet azoté. La sécrétion tubulaire intervenait d'autant plus probablement que la clairance de l'urée était dans cette série généralement normale ou peu augmentée.

 

Kimmestiel et Wilson en 1936 (2) décrivirent sur des pièces d'autopsies la lésion glomérulaire caractéristique du rein diabétique, anomalie qui fut observée sur les biopsies rénales, même lorsqu'elles étaient précoces, ainsi que l'a montré avec son équipe C. Brun (3), celui qui a introduit la biopsie du rein.

On pouvait donc légitimement relier hyperfiltration et lésions rénales. Toutefois la durée d'évolution des néphropathies diabétiques laissait planer un certain doute : dix ans d'hyperfiltration suivis de dix ans de microalbuminurie avant que n'apparaisse la néphropathie diabétique classique avec insuffisance rénale progressive pendant souvent une décennie, c'est trop long pour que la conclusion soit certaine.

 

L'hyperfiltration glomérulaire précoce au cours du diabète a été définitivement confirmée par des auteurs européens, Spühler, Amsler et Greif entre autres (voir Revue (4)) et, en Italie, par Fiaschi (5) qui mena une vaste enquête en 1952, la filtration glomérulaire étant mesurée par la clairance du thiosulfate et le flux plasmatique rénal par celle du PAH. Celle-ci étant normale ou basse, la fraction filtrée fut jugée augmentée et la pression de filtration élevée. Un doute subsistait toutefois, l'extraction du PAH, non vérifiée, ayant pu être incomplète chez ces diabétiques, si bien que la clairance du PAH aurait été sous-estimée.

 

Le débat fut tranché en Suisse par Stalder et Coll. (6,7) qui émirent l'hypothèse d'un lien entre l'hyperfiltration et les lésions rénales tardives du diabète. Pour expliquer l'hyperfiltration, ils suggérèrent une augmentation soit de la pression dans les capillaires glomérulaires soit de la perméabilité de leur paroi. A la longue, quel que soit le mécanisme en cause, il en résulterait des lésions dégénératives dont l'intensité dépendrait de celle des désordres métaboliques du diabète. Deux études, l'une rétrospective (8) et l'autre prospective (9), menées avec rigueur sur un nombre élevé de patients, ont récemment confirmé ce concept. Elles indiquent en outre que l'hyperfiltration est associée à un contrôle métabolique défectueux du diabète. Celui-ci est donc directement impliqué dans la survenue de la néphropathie.

 

L'analyse multifactorielle a même conduit Rudberg et Co11. (9) à incriminer en premier l'hyperfiltration dans la genèse des complications, du moins statistiquement parlant. Si deux autres études ne confirment pas cette hypothèse, il est juste de relever que les critères d'inclusion y sont mal définis et la durée de surveillance trop brève (10).

 

Le rôle de l'hyperfiltration bénéficie des expériences de Barry Brenner et de son groupe qui ont abouti à l'édification de toute une théorie s'appliquant à bien des néphropathies chroniques autres que celles des diabétiques, avec les incidences thérapeutiques que l'on connaît (11).

 

La microalbuminurie, deuxième étape qui établit le lien entre la physiologie et l'anatomo-clinique

On réserve actuellement le terme de microalbuminurie aux albuminuries dépassant la limite supérieure de la normale, 20 µg/mn, mais inférieures aux 200 µg/mn, donnant une concentration que détectent les bandelettes réactives du commerce. La découverte de la microalbuminurie du diabète date du début des années soixante. Elle est due à Harry Keen, du Guy's Hospital à Londres, qui, au retour d'une réunion de la British Diabetes Association, pensa utiliser pour doser des traces d'albumine urinaire (12) la méthode radio-immunologique tout juste inventée par S. Berson et R. Yalow, découverte couronnée par le Prix Nobel. Très sensible et quantitative, cette technique constituait un progrès considérable sur la simple immunodiffusion d'Oudin (13) et d'Ouchterlony (14).

 

Dans les travaux initiaux de Keen apparaît clairement la conception princeps que l'atteinte rénale, révélée par la microalbuminurie, serait constante dans tous les diabètes de longue durée. Mais tel n'est pas le cas. Dans une proportion importante de patients diabétiques en effet l'albuminurie reste à des taux physiologiques même après de nombreuses années, sans que ne survienne le moindre signe d'atteinte rénale (8).

 

Chez d'autres une microalbuminurie est constatée 5 à 15 ans après le début clinique de la maladie et le pronostic est autrement sévère que celui des normoalbuminuriques : la néphropathie diabétique est déjà constituée, la biopsie rénale révélant des lésions glomérulaires "incipiens" mais indiscutables et caractéristiques.

 

Les travaux de Keen et de son équipe et ceux des groupes danois restèrent assez isolés jusqu'au début des années quatre-vingt. A ce moment trois laboratoires (8,11,15-18) démontrèrent que la microalbuminurie avait une valeur prédictive certaine. Alors les publications fusèrent à un rythme explosif. Les chercheurs, disposant enfin de l'indicateur fidèle qu'est la microalbuminurie, étaient passionnés par l'espoir de pouvoir prévenir et même traiter l'atteinte rénale par les moyens à leur disposition, le meilleur contrôle métabolique du diabète associé à celui de l'hypertension artérielle.

 

Les malades atteints de Diabète Insulino Dépendant (DID) sont les plus enclins aux complications propres au diabète. Dépister chez eux la microalbuminurie est donc percevoir un véritable signal d'alarme faisant suspecter déjà des lésions glomérulaires (19). Il apparut rapidement que l'épaississement des membranes basales et l'élargissement du mésangium était généralement fonction du contrôle antérieur des troubles métaboliques ce que confirma leur évolution, liée à l'efficacité de leurs traitements. Le syndrome microalbuminurique coexiste souvent avec une fonction rénale normale et même avec l'hyperfiltration et la néphromégalie.

 

Ces patients sont plus exposés que tout autre aux multiples localisations de la microangiopathie diabétique. Ainsi le syndrome microalbuminurique annonce souvent la rétinopathie diabétique et doit faire rechercher et traiter les lésions prolifératives débutantes de la rétine. Il en est de même pour la neuropathie diabétique.

 

Au cours du diabète de type II la découverte d'un syndrome microalbuminurique a pratiquement les mêmes implications qu'au cours du DID, surtout si le patient est encore jeune, comme l'a montré l'histoire récente des patients de ce groupe.

La microalbuminurie, là aussi présente chez certains malades seulement, est le meilleur indicateur de pronostic vital. La rechercher est donc devenu la règle et la découvrir une indication formelle aux mesures thérapeutiques les plus énergiques susceptibles de prévenir les complications qui, autrement, surviendront un jour ou l'autre (16).

 

Quelle est la relation entre la microalbuminurie et l'hypertension artérielle ? Ce sera l'objet du chapitre suivant mais il est nécessaire de s'arrêter ici sur un point, leurs places respectives dans la séméiologie. La microalbuminurie est une anomalie qui peut être établie sans conteste et même quantifiée. La découvrir signifie l'atteinte diffuse de tout le système micro-vasculaire, du rein en particulier dont dépend pour une large part le pronostic vital de la maladie diabétique. Le rein est l'organe à préserver. L'hypertension débutante est, elle, bien difficile à établir tant les chiffres lus sont différents d'un jour à l'autre. Une tendance hypertensive est une expression floue ne permettant pas de conclure. La microalbuminurie révèle une anomalie rénale indiscutable constituant un danger précis. A cet égard il convient de noter que la microalbuminurie est aussi un signe de plutôt mauvais pronostic dans une population âgée, même en dehors de tout diabète, en rapport souvent avec une maladie cardiovasculaire chronique (20).

 

L'hypertension artérielle, troisième étape de la connaissance de la néphropathie diabétique

Surprise : dans les premières études sur la microalbuminurie et les anomalies de la fonction rénale, la pression artérielle, sans doute relevée, n'était pas systématiquement consignée. Peu après, il devint évident que la microalbuminurie était accompagnée d'une légère augmentation de la pression artérielle, de l'ordre de 5 à 10 mmHg, ce qui fut confirmé par de multiples investigations cliniques(18). Il n'y avait aucun doute sur l'association habituelle de la microalbuminurie, des lésions rénales et de l'hypertension. D'où une hypothèse séduisante : une prédisposition génétique à l'hypertension et une élévation précoce de la tension artérielle précédant la microalbuminurie ne seraient-ils pas des facteurs pathogéniques de l'atteinte rénale ?

 

Résoudre cette question se heurte à une difficulté majeure, l'exactitude des chiffres tensionnels notés à chaque consultation.

 

Une réponse précise a été apportée par des enregistrements continus, 24 heures de suite, qui permettent de connaître la pression du patient placé dans ses conditions habituelles de vie, familiale et professionnelle. Cette investigation montra clairement que l'hypertension apparaissait après et non avant la microalbuminurie, ce qui semble exclure une participation pathogénique de l'hypertension à la néphropathie diabétique (21). Cette chronologie sémiologique marque une date dans l'histoire de la néphropathie diabétique, d'autant plus que la prédisposition parentale à l'hypertension ou les anomalies de transport des cations à travers les parois cellulaires ne jouent aucun rôle (22).

 

 
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