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numéro 4

Hypertension artérielle et artérioles renales de Bright à aujourd'hui

Par Hugh E. DE W ARDENER

Membre associé de l'Académie Nationale de Médecine

Londres

 

 

 

 

 

Observations et déductions de Bright

En 1836, Richard Bright (1) signala une hypertrophie cardiaque à l'autopsie d'une centaine d'albuminuriques avec lésions macroscopiques des reins et précisa "Ce qui est frappant c'est que chez vingt-deux d'entre eux il n'y avait aucune des causes organiques habituelles d'hypertrophie ventriculaire gauche". Depuis Harvey (2) il était avéré que le sang jaillissait des artères par saccades, ce qui impliquait une pression variable au moins avec les battements du coeur. Aussi Bright proposa-t-il une explication maintenant largement admise, après bien des vicissitudes : la pression artérielle est augmentée car le pouls de ces patients est dur. Hypothèse hardie car la pression artérielle n'avait été alors mesurée que chez le cheval (3), en 1733, grâce à un tube de verre vertical inséré dans la carotide (Fig. 1) par le génial précurseur dans bien des domaines de la future biologie que fut le Révérend Stephen Hales (1677-1761) (3). Cent ans plus tard, Poiseuille (4) mit au point un manomètre à mercure fait d'un tube en U qui, après avoir été muni par Ludwig (5) d'un stylet enregistreur, fut d'usage courant au laboratoire jusqu'à l'apparition dans les années 1960 du capteur électronique. Quand à sa mesure en clinique, elle ne fut aisée qu'avec le brassard sphygmomanométrique de Riva-Rocci (6) introduit 60 ans après Bright.

 

Shaw (7) a prétendu que Bright n'avait pas directement relié l'hypertension artérielle par atteinte rénale à l'hypertrophie cardiaque. Il est vrai que Bright n'est pas formel mais c'était l'une des deux hypothèses qu'il avança. Son texte dit en effet que l'hypertrophie ventriculaire est due : "... soit à des altérations du sang provoquant directement des stimulus irréguliers et indésirables de l'organe (cœur) soit à un trouble de la délicate circulation capillaire rendant nécessaire une pression accrue pour forcer le passage du sang dans le réseau vasculaire distal (1)". Les altérations du sang se rapportent à la rétention de substances que le rein malade ne peut plus excréter normalement. Quant à "une pression accrue nécessaire pour forcer le passage du sang dans le réseau vasculaire distal" à coup sûr ce propos indique que Bright juge que l'hypertrophie ventriculaire peut être due à une pression artérielle élevée.

 

L'idée qu'un "stimulus indésirable" du coeur, c'est-à-dire une activité cardiaque accrue, pourrait augmenter la pression artérielle, ressuscitée dans les années 1960, fut bientôt abandonnée sauf comme facteur initial possible (8). En revanche la suggestion de Bright que le rein peut être la cause d'une hypertension en augmentant la résistance des artérioles est de plus en plus d'actualité.

 

Soulignons que Bright ne spécifie pas le territoire du réseau vasculaire distal incriminé (1). Pour nous le mot distal évoque l'ensemble des petits vaisseaux de l'économie. Johnson (9) et ses contemporains limitaient la pensée de Bright (10) à "seulement la résistance des artères rénales", interprétation dont le point de départ est morphologique, un de ses élèves, Toynbee (11), signalant qu'à l'autopsie de la maladie de Bright avec atrophie, les capillaires, glomérulaires et péritubulaires, sont si contractés qu'ils deviennent difficiles ou même impossibles à injecter.

  

L'école du Guy's Hospital après Bright

Johnson en 1868 (9) écarta le rôle exclusif de la résistance des artères du rein dans l'hypertrophie ventriculaire et l'hypertension artérielle. Après examen du cerveau et des reins, petits et granuleux, d'un sujet qui de son vivant avait été l'un des premiers dont le pouls ait été analysé avec le sphygmographe par Burdon-Sanderson (12), Johnson écrivit : "Les parois des artères rénales étaient hypertrophiées mais aussi, à un moindre degré, celles du cerveau et de la pie mère". Il en conclut que l'hypertrophie du coeur et l'hypertension étaient dues au sang "contaminé par les excreta urinaires ou autrement modifié si bien que son transit artériel est perturbé dans l'ensemble de l'organisme".

 

Quatre ans plus tard, Gull et Sutton confirmèrent : "les artérioles sont plus ou moins lésées dans tout le corps" (13). Comme Bright, Sir William Gull était du Guy's Hospital. Il avait la réputation d'être le plus riche des médecins anglais de tous les temps.

 

Son style était unique, flamboyant et au temps de "Jack l'Eventreur", certains émirent le soupçon qu'il n'était pas étranger à cette série de meurtres sexuels. Pour juger de son talent d'acteur il suffit de lire un de ses propos tenu en 1872 (14) : "Dans ce bocal vous voyez un cceur hypertrophié et un rein atrophique, association classique. Ce montage a sans doute été réalisé sous la direction du Dr Bright pour faire comprendre que la destruction rénale est responsable de la cardiomégalie. Je le contemple avec vénération, sans être le moins du monde convaincu. Malgré tout le respect dû à un tel Maître, je pense que le système capillaire en entier et même tout l'organisme auraient dû prendre place dans ce bocal, accompagnant le cceur et les reins; cela aurait donné une vue plus exacte de la cause de l'hypertrophie cardiaque et de la maladie rénale".

 

Cette tirade rappelle celle d'Antoine aux funérailles de César : "je viens pour enterrer César et non pour le glorifier". On peut se demander si Johnson ainsi que Gull et Sutton n'ont pas délibérement interprété les travaux de Bright et de Toynbee de façon à donner plus de relief à leurs propres résultats.

 

Et, ironie du sort, l'enthousiasme de Gull, à l'instar de celui de Bright, en faveur de l'extension des lésions artérielles n'est-il pas rétrospectivement à inscrire à son passif ? Gull affirme qu'en cas d'atteinte rénale sévère, anatomiquement prouvée, l'hypertrophie cardiaque et la maladie rénale sont toutes les deux secondaires à des obstructions de l'ensemble du système capillaire (14). En reliant la néphropathie avancée et l'hypertension à l'atteinte capillaire, Gull plaçait la charrue avant les bceufs à moins que, par bonté d'âme, on ne lui attribue la description de la néphroangiosclérose où l'hypertension est la cause directe des lésions rénales. Ewald (15) et Jores (16) observèrent aussi qu'au terme des néphrites chroniques avec hypertension les lésions artérielles occlusives frappaient bien des organes autres que les reins.

 

Ludwig Traube et les liens unissant lésions rénales et hypertension

Entre 1860 et 1872, avant toute mesure clinique de la pression artérielle, Ludwig Traube (1818-1876) compléta la vision anatomo-clinique précédente par une approche physiopathologique : "...l'atrophie du parenchyme rénal... agit en réduisant la quantité de liquide... prélevée du système circulatoire par l'excrétion urinaire. Il en résulte... (que) la pression artérielle moyenne doit s'élever" (17). Cette hypothèse, téléologique et incomplète, laissait inexpliqué le mécanisme de l'hypertension. Elle a précédé de près de cent ans celles de Fahr (18), de Borst et Borst-de-Geus (19) et de Guyton (20) d'un mécanisme de l'hypertension artérielle par compensation d'un défaut d'excrétion rénale, même sans atteinte morphologique des reins. La réticence du rein à excréter le sodium comme cause d'hypertension artérielle est une notion dont nous sommes redevables à Borst et Borst-de-Geus qui ont écrit qu’"... une excrétion apparemment normale de sodium est maintenue au prix d'une hypertension artérielle" (19), concept ensuite expérimentalement repris par Guyton (20). Ces auteurs, toutefois, ont aussi négligé d'aborder le mécanisme de l'hypertension artérielle.

 

L. Traube, né à Ratibor en Haute Silésie, a étudié à Breslau chez Purkinje puis à Berlin chez J. Müller et Schönlein, passa chez Rokitansky à Vienne avant de revenir à la Charité à Berlin, Hôpital Militaire où il fut le premier juif admis à une fonction officielle, juste après la révolution de 1848 (Fig. 2). Traube fut de ceux qui fondèrent la pathologie expérimentale en Allemagne. Hors la néphrologie, Traube étudia la physiopathologie de la fièvre, l'action de la digitale et le rôle du pneumo­gastrique en pathologie pulmonaire. Il est souvent confondu avec son frère Moritz, biophysicien qui réalisa la première membrane artificielle strictement hémiperméable.

 

La mesure de la pression artérielle révèle l'hypertension essentielle

En 1881, Fréderik A. Mahomed (1849-1884) (21) décrivit l'hypertension sans albuminurie ni atteinte rénale patente, dite maintenant essentielle. La place de l'hypertension en pathologie était alors l'objet de débats d'autant plus passionnés qu'aucun moyen ne permettait de la mesurer en clinique. En 1863, à Paris, E.J. Marey (1830-1904) (22) conçut un premier sphygmographe (Fig.3), modification de celui de Viervort (23), mesurant l'amplitude et la durée des pulsations radiales ainsi que la compressibilité de cette artère.

 

Marey (Fig.4), originaire de Beaune, était un ingénieur né, contraint par son père à étudier la médecine (24). Très tôt, il associa données médicales et mécaniques le conduisant à créer de multiples instruments d'explo-ration, ce qui le mena au Collège de France où il succéda à M.J.P. Flourens (1794-1867). Adepte de la méthode graphique poussée à la perfection jusqu'à la chronophotographie, ancêtre du cinéma, il facilita ainsi l'étude de la circulation, de la respiration, de la contraction musculaire, du mouvement et du vol des oiseaux, etc. Il inspira même vers 1890 la construction d'avions. A la fin de sa vie, il se consacra à l'Institut Marey, foyer de création et de fabrication d'instruments physiologiques de mesure.

 

Burdon-Sanderson, physiologiste à Londres, multiplia les travaux avec ce premier sphygmographe (12). Mahomed, encore étudiant, modifia cet appareil pour écraser l'artère radiale jusqu'à l'arrêt de la circulation, mesurant ainsi la pression artérielle systolique, lue sur un cadran gradué en ounce of troy weight. Il détermina la pression artérielle d'un large contingent de témoins et de patients, notant qu'il "n'était pas rare de voir des personnes en bonne santé apparente, sans albumine dans les urines et sans aucun signe de maladie organique dont la pression est constamment élevée au sphygmographe". Après hémorragie cérébrale, complication fréquente, l'autopsie lui montra des reins un peu atrophié, rouges et non pas jaunes comme dans les cas avec oedèmes et albuminurie et il conclut : "l’hypertension est une condition circulatoire permanente chez quelques individus et cette anomalie appartient à une diathèse particulière. Je suis convaincu que les signes cliniques et anatomiques de l’hypertension artérielle existent souvent en dehors d'atteintes rénales discrètes quand elles ne sont pas complètement absentes" (21). Dans les années suivantes, les conclusions de Mahomed furent confirmées par von Basch (25) et Allbutt (26).

 

Le grand père de Mahomed (Sake Dean Mahomed) était un chirurgien Hindou de l'East Indian Company, immigré et marié à Cork, auteur d'un livre sur ses voyages. Installé à Brighton, il ouvrit le premier Bain Turc en Angleterre, à la mode et très prisé par la haute société oisive de la Regency qui y traitait ses rhumatismes. Il fut même "Shampoo Surgeon" du Roi George IV. Son petit fils Frederick étudia au Guy's Hospital où son énergie s'imposa : "... toujours pressé, un livre sous le bras, à la recherche de cas cliniques, saisissant les idées qui pouvaient naître chez les autres" (7). Médecin adjoint au Guy's Hospital en 1881, il mourut deux ans plus tard à 35 ans d'une fièvre typhoïde avec hémorragie intestinale (Fig. 5).

 

 
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