numéro 4
Contemporain de Mohamed, Henri Huchard (1844-1910) (Fig. 6) exprimait peu après à Paris une conception identique : "A tort il a été prétendu que l’hypertension artrielle chronique est toujours consécutive à une néphrite interstitielle. Le contraire est aussi vrai; l’hypertension est une cause d'artériosclérose; elle précède, à échéance plus ou moins longue, d'autres maladies (affections cardiaques ou néphrites artérielles etc.) qui en fait sont secondaires à une sclérose artérielle" (27). Ainsi, Huchard étendait la suggestion attribuée à Bright que l'occlusion des artères intrarénales provoque l'hypertension à la situation inverse où l'hypertension cause ces mêmes lésions dans tout l'arbre artériel, y compris dans le rein. Ce sont les lésions vasculaires hypertensives, celles de la néphrosclérose.
Né dans l'Aube, fils d'instituteur, Huchard fit une brillante carrière hospitalière et universitaire. A partir de 1875, il fixa son attention sur les maladies cardiaques d'origine vasculaire par hypertension avec lésions secondaires des vaisseaux, les coronaires avant tout. Comme Bright l'avait fait, il opposait ces cardiopathies à celles valvulaires, alors les plus connues.
Volhard : les hypertensions essentielles bénignes et malignes
En 1931, Franz Volhard (1872-1950) (Fig. 7) sépara les hypertensions essentielles en bénignes et malignes. De même que Johnson (9) et Gull (14) avaient incriminé l'atteinte des artères périphériques comme cause de l'hypertension associée aux affections rénales sévères, Volhard suggéra que l'hypertension essentielle bénigne était due à des obstructions artérielles disséminées. A l'inverse de ses prédécesseurs faisant intervenir la rétention de substances toxiques non ou mal excrétées par le rein malade, il incriminait une élastose des artérioles, systémique, par prédisposition génétique, aggravée avec l'âge.
Il écartait la participation du rein du moins au stade initial de l'hypertension essentielle et, comme Huchard, faisait des reins les innocentes victimes de l'hypertension au long cours. En revanche, Volhard attribuait l'hypertension maligne à un trouble rénal consistant en la sécrétion d'un facteur hypertensif, déclenchée par l'ischémie. En outre, disait-il, cette substance pourrait rendre maligne l'hypertension essentielle bénigne si l'élastose des artérioles préglomérulaires devenait assez sévère, appliquant le même raisonnement qu'aux hypertensions des néphrites avancées avec obstacle vasculaire.
La structure chimique de l'angiotensine fut connue en 1956 (29) (30), mais bien avant Volhard était convaincu du rôle pathogène d'une substance hypertensive, la "rénine", mise physiologiquement en évidence par Tigerstedt en 1898 (31). Il lança donc l'idée que le spasme artériel dû à cet agent hypertensif accentuerait aussi l'ischémie rénale, provoquant un cercle vicieux (28). Un concept que vérifieront Wilson et Byrom en 1941 (32).
F. Volhard a très fortement influencé les conceptions anatomocliniques de la Néphrologie de 1900 à 1940. Seul ou avec T. Fahr (1877-1945), à partir de documents anamnestiques, morphologiques et cliniques, il a milité en faveur d'une liaison étroite, anatomique ou fonctionnelle, entre des maladies rénales et plusieurs formes d'hypertension artérielle. C'est une des caractéristiques de son oeuvre dont l'apogée se place juste avant qu'interviennent le renouvellement de la physiologie rénale, la dialyse et la biopsie rénale.
Aux déductions de Volhard s'ajoutèrent en 1946 les données anatomiques de Bell (33). Partant d'un abondant matériel d'autopsie il conclut que l'hypertension peut se développer chez des sujets qui n'ont pas plus de lésions vasculaires rénales que les témoins non hypertendus. Des données identiques furent relevées par Castelman et Smithwick (34) ainsi que par Fishberg (35) qui écrivit : "Dans maintes autopsies d'hypertendus sévères les artérioles et les petites artères rénales n'étaient pas anormales, compte tenu de l'âge".
La fonction excrétrice est anormale dans l'hypertension essentielle sans anomalie morphologique du réseau vasculaire rénal
Les souches de rats spontanément hypertendus (36), si proches cliniquement des hypertensions essentielles, ont fourni un argument de poids à la théorie émise par Borst et Borst-de-Geus (19), soutenue par Guyton (20). Ces rats en effet ont une anomalie de l'excrétion du sodium qui précède l'hypertension.
Le rôle du rein dans ces hypertensions est prouvé par la transplantation croisée de reins (37) (38) chez des rats binéphrectomisés. Ce fut l'oeuvre de six équipes, opérant sur quatre souches de rats (39) (45), entre 1966 et 1990.
Les faits sont clairs : un rein prélevé sur un rat de souche hypertendue et transplanté à un animal binéphrectomisé de souche normotendue élève sa pression artérielle. Le résultat est le même quel que soit l'âge, entre 5 et 20 semaines, et que l'animal ait été mis ou non à 4 semaines sous traitement antihypertenseur par un inhibiteur de l'enzyme de conversion. On peut donc estimer que le rein transplanté n'a pas de lésions artérielles même mineures au moment du prélèvement. A l'inverse, un rein de souche normotendue mis en place chez un animal de souche hypertendue prévient l'hypertension si le receveur est jeune et réduit la pression si le receveur est déjà hypertendu.
En transplantation humaine il existe une situation bien proche de celle-ci, le transfert d'un rein provenant d'un donneur issu de parents hypertendus. Il est fréquent alors que la pression artérielle soit supérieure à la normale suggérant que le transplant est à l'origine de l'hypertension (46) (47).
En expérimentation animale, l'élévation de la pression artérielle après transplantation d'un rein de souche hypertensive va de pair avec une rétention de sodium (48) (49), ce qui confirme le rôle d'un défaut d'excrétion de ce cation par le rein transplanté.
Les reins isolés de rats de souche hypertendue de moins de trois semaines ont une réponse natriurétique émoussée à l'augmentation de la pression de perfusion. Cette anomalie est associée à une réduction du flux sanguin et de la pression interstitielle dans la papille en rapport avec une vasoconstriction des artérioles afférentes des glomérules profonds, sans modification morphologique, qui augmenterait la réabsorption du sodium (50) (53).
Conclusion
Le cercle est donc maintenant fermé. Bright, du moins à ce qu'affirment certains de ses collaborateurs, avait avancé que l'hypertension des atteintes rénales sévères était due à des lésions obstructives du réseau vasculaire intrarénal. Cette idée semble aujourd'hui vérifiée sur d'autres arguments que ceux de Bright. Dans l'hypertension essentielle sans atteinte rénale patente, fut confirmée l'absence de lésions vasculaires microscopiques, ce qui avait écarté tout rôle pathogène d'une anomalie des artérioles rénales. Mais au cours des trente dernières années, un défaut d'excrétion rénale du sodium a été constaté dans les modèles animaux d'hypertension spontanée en relation avec une vasoconstriction des artérioles irriguant la papille. Or cette hypertension est sinon identique, du moins bien proche de la forme essentielle de l'homme, en particulier par l'absence initiale de lésions vasculaires du rein. On peut donc suspecter que chez l'homme l'hypertension essentielle relèverait du même mécanisme.
Ainsi l'hypertension associée à une atteinte rénale sévère décrite par Bright et celle dite essentielle indépendante de toute maladie rénale patente seraient en fin de compte toutes deux rénales, dues à un trouble obstructif de la circulation rénale, l'un anatomique l'autre fonctionnel.
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