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numéro 5

La néphrite endémique des Balkans, un défi épidémiologique et étiologique non résolu

Par Momir Macanovic

Medical Research Council Center

Molecular Immunology unit

Hill Road, Cambridge CB2 2QH

Grande Bretagne

 

Docteur en médecine, 1962, Sarajevo; Ph. D. Londres 1973, Pr de médecine interne et de néphrologie puis Doyen de la Faculté, 1984-1992, Sarajevo; Senior Research Associate, Cambridge, 1992-1995. Ses travaux ont avant tout porté sur l'immunopathologie rénale, clinique et surtout expérimentale (Néphrite de Heyman).

Parmi les événements qui ont marqué la néphrologie contemporaine, une fois arrivée à son terme l'épopée physiologique des Ecoles de Homer Smith et de R.F. Pitts, la découverte d'une néphropathie géographiquement singulière occupe une place privilégiée. Ouvrant un chapitre imprévu, la Néphrite Endémique des Balkans (NEB) a profondément influencé la néphrologie car elle offrait l'espoir d'identifier par ses particularités une cause et un mécanisme définis. L'histoire de cet avatar est loin d'être achevée, faute de critères biologiques sans doute. Les certitudes actuelles ne sont que partielles, cliniques et épidémiologiques. Quant aux hypothèses étiopathogéniques non confirmées, leur nombre témoigne de l'acharnement des néphrologues à vouloir résoudre l'énigme.

 

La découverte de la néphrite endémique des Balkans (NEB)

Au début des années cinquante les praticiens de certaines régions signalèrent aux autorités médicales de Bulgarie, de Roumanie, et de différentes républiques de la Yougoslavie d'alors (Bosnie, Croatie et Serbie) la survenue d'une singulière maladie rénale de l'adulte.

         

La première étape, l'individualisation du syndrome clinique

Les praticiens remarquèrent d'abord la fréquence inhabituelle du syndrome, longtemps latent. Le début de la NEB n'est marqué par aucun épisode aigu, infectieux ou autre et, à bas bruit, en deux ou trois ans l'état général s'altère, l'urémie chronique apparaissant sans qu'à aucun moment n'aient été constatés d'oedème, d'hypertension artérielle, d'infection urinaire, d'hématurie ou de forte albuminurie. Le patient ne ressent la maladie qu'au stade avancé de néphrite chronique. Une fois la rétention urémique installée, rien ne semble la séparer des néphrites interstitielles à bout de course. Avant la dialyse ou la transplantation la mort survenait six mois à un an environ après l'installation du syndrome clinique d'urémie chronique. Les noms de Tanchev, de Danilovic, de Radosevic, de Radonic, de Pichler, d'Aranicki et de Caon sont ceux qui apparaissent dans la littérature initiale provenant des trois Pays impliqués (1 à 8).

        

Les singularités cliniques opposant la NEB aux néphrites chroniques banales, deuxième étape historique

La maladie individualisée, les cliniciens des régions frappées ont dégagé quelques particularités de la NEB, sinon propres du moins l'évocant. La survenue de tumeurs malignes du tractus urinaire associées est la plus remarquable. Elle a été mise en évidence dès la fin des années 50 par les équipes bulgares (9) et confirmée ensuite dans les autres pays. Toutefois l'incidence de l'association semble plus élevée en Bulgarie, 40% (1) qu'en Croatie, 5% (10). Il s'agit de papillomes ou de carcinomes soit transitionnel, soit squameux soit encore in situ (11). Ils apparaissent aussi bien au stade urémique qu'à une période où l'atteinte rénale est entièrement latente (12), précession confirmée par la fréquence, même en dehors de tout signe de NEB, de néoplasies uro épithéliales, 5,1 fois plus dans les zones endémiques que dans celles épargnées. L'association est cliniquement suggérée dès qu'apparaît une hématurie, même microscopique.

 

Une cause commune pourrait être à l'origine des deux lésions, rénales et des voies urinaires (13). Rappelons cependant que la survenue de telles tumeurs n'est pas l'apanage de la NEB ; elle est aussi observée dans d'autres néphrites interstitielles chroniques, celles des analgésiques surtout.

 

Une phase préclinique a été révélée par l'étude des familles des patients et des villages des zones où l'endémie se manifeste. Elle est caractérisée par une microprotéinurie, non détectable par les bandelettes réactives, faite de ß2 microglobuline. Il s'agirait donc d'une protéinurie tubulaire (5, I0, 14). Il convient toutefois de remarquer que la ß2 microglobuline est aussi augmentée dans le sérum, d'un facteur 2 à 4, même en dehors de toute insuffisance rénale; une hyperproduction de cette protéine, surajoutée au défaut de réabsorption, n'est donc pas exclue. L'excrétion d'une glycoprotéine sécrétée exclusivement par le rein, la Tamm-Horsfall, est aussi augmentée. Curieusement, la microalbuminurie ne semble pas avoir été recherchée. La ß2 microglobinurie n'est toutefois pas une anomalie suffisante à elle seule pour en faire l'élément central d'une enquête épidémiologique.

Mais c'est l'unique signe précurseur connu de la NEB.

L'âge et le sexe. Même dans les zones où l'endémie est manifeste, la NEB n'a été observée que chez les adultes, à partir de trente ans, jamais chez l'enfant (7). La maladie atteint également les deux sexes, à l'inverse de la plupart des néphrites chroniques primitives qui frappent plus les hommes que les femmes.

 

Des nuances sémiologiques différencieraient la NEB des autres néphrites interstitielles. Elles sont de peu d'intérêt au stade avancé de la maladie ou lorsqu'elles sont peu prononcées. Rapportées dans les années 50 (2, 3, 9), elles ont été plus tard mises en doute (15). On ne peut donc retenir l'anémie précoce et un déficit majeur des fonctions de concentration de l'urine comme particuliers à la NEB.

 

Evolution sous traitement de suppléance de la fonction excrétrice. Alors que la maladie est évolutive, une fois l'urémie atteinte et le patient en dialyse il n'apparaît aucun signe extrarénal.

 

Il s'agit manifestement d'une néphropathie secondaire, la cause inconnue dont elle doit relever détruit donc électivement les reins et sans doute induit aussi la cancérisation de l'épithélium des voies urinaires. Après transplantation enfin, il n'y a pas de récidive sur le greffon. Le tout est bien déconcertant !

 

Une histologie tristement banale

Les premières études microscopiques portaient sur du matériel d'autopsie, deux reins atrophiques, de taille égale, parfois pas plus gros qu'une noisette. Elles n'apportaient rien de spécifique. Les travaux les plus récents (15, 16) portent sur des biopsies. Les lésions dominantes, pratiquement constantes, sont une atrophie tubulaire proximale associée à une sclérose interstitielle avec dans la moitié des cas des cellules mononucléées.

 

Dans 40% des biopsies sont décelées une sclérose glomérulaire et/ou une hyalinose des artérioles ou des petites artères interlobulaires. Ces dernières lésions sont focales ou généralisées, faites d'un épaississement de l'intima, dédoublement des membranes élastiques et même obstruction vasculaire. L'espoir était grand de dégager un fil conducteur grâce à la morphologie comparée des biopsies à différents stades de la maladie chez des patients et des membres de leurs familles, porteurs d'une ß2 microglobinurie ou apparemment sains. Mais aucune lésion spécifique ne fut observée. Enfin, on ne dispose d'aucune collection de biopsies itératives.

 

Les examens en immunofluorescence sont tout aussi désappointants. Les seules données, faiblement positives, consistent en de discrets dépôts d'lgG sur les membranes basales, du tube proximal avant tout (17, 18). L'opinion générale est qu'il n'y a pas d'argument morphologique en faveur d'une participation immunologique à la NEB (19, 20).

       

Epidémiologie de la néphrite endémique des Balkans

Le caractère endémique de la NEB constitue sa plus évidente singularité. Il a très vite frappé les autorités d'autant plus que dans les pays impliqués, Bulgarie, Roumanie et les trois Républiques Yougoslaves de Bosnie, Croatie et Serbie l'organisation sanitaire était étatisée et centralisée, colligeant systématiquement les statistiques régionales. Les victimes étaient et sont encore des agriculteurs de zones géographiques bien délimitées, les vallées des affluents du Danube (Fig. 1), les cas étant volontiers groupés par familles et/ou villages.

 

 

La localisation précise de foyers endémiques a permis de concentrer les efforts épidémiologiques et a contribué à décrire tous les aspects cliniques de la maladie. En Bulgarie la zone sensible s'étend sur 80 km de long et 30 de large. La mortalité par urémie y est de 34% alors qu'elle est de 1,2% dans le reste du Pays. En Serbie, la mort de trois membres d'une même famille suscita l'étude longitudinale de 12 foyers du même village; entre 1941 et 1956, 37 membres de ces familles étaient décédés d'urémie et parmi les 44 survivants 23 avaient des signes de néphropathies chroniques. La moitié environ de la population de l'agglomération aurait été atteinte par la NEB. Les chiffres recueillis dans les territoires touchés par l'endémie en Croatie et en Bosnie sont moindres, rarement plus de 8% des habitants, mais la mortalité par urémie y est 4 à 7 fois supérieure à celle des zones épargnées (8). Dans certains territoires de Bosnie, 20% de la population serait atteinte. Ce chiffre surprend tant il est élevé; mais il doit être rapproché du fait que les patients atteints de NEB représentent 50% des dialysés du secteur (16).

 

Les résultats des enquêtes épidémiologiques ont été présentés aux Congrès Internationaux de Néphrologie à Evian (1960), à Prague (1963), à la Conférence de l'OMS à Dubrovnik en 1964, à un Symposium Ciba à Londres en 1967 et aux réunions de Sofia, Nis et Belgrade, soit 11 audiences scientifiques de 1965 à 1985.

 

L'absence de marqueur clinique et/ou bio­logique fidèle de la NEB est un obstacle à une exacte évaluation de la prévalence et de l'incidence comme au dépistage des formes infracliniques de la maladie. L'épidémiologie en pâtit ainsi que l'étude scientifique du mécanisme au stade tout initial, moment a priori le plus favorable.

         

La dernière étape : l'étude étiopathogénique de la néphrite endémique des Balkans, une longue et infructueuse traque

La NEB, formant à première vue une cohorte homogène, ce qui est rare en néphrologie, devrait être un secteur de choix pour mener une étude étiopathogénique fructueuse. Les recherches furent aussi stimulées par la dimension médico-sociale que prit la maladie, engageant des équipes locales et internationales.

 

 
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