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numéro 5

Histoire des peptides natriuétiques

Par Raymond Ardaillou

Hôpital Tenon

75970 Paris cedex 20

 

Professeur à la Faculté Saint Antoine, Chef de Service et Directeur de l'unité INSERM 64 à Tenon. Les plus remarqués de ses travaux expérimentaux portent sur la biochimie du glomérule isolé et des cellules glomérulaires en culture. En investigation clinique, il s'est surtout intéressé à la régulation du bilan hydroélectrolytique et au mécanisme des cedèmes.

 

La notion que les oreillettes sécrètent une hormone natriurétique en réponse à l'augmentation du volume sanguin central afin de le ramener à la normale est relativement récente. Elle est née d'un ensemble de découvertes rendues possibles par les connaissances acquises depuis le 19ème siècle, évidentes de nos jours mais qui ne furent admises qu'après de longs débats. Elles peuvent être résumées ainsi :

Nous allons dans un premier temps montrer comment ces notions ont été acquises, puis envisager plus particulièrement l'histoire des peptides natriurétiques et leurs développements actuels.

        

Histoire de la régulation du volume plasmatique

Claude Bernard, le premier, dans la deuxième partie du 19ème siècle, proposa l'idée que les cellules de l'organisme baignent dans un milieu de composition constante "le milieu intérieur" protégé des variations que tend à lui imposer le milieu extérieur dit "milieu cosmique" . Par opposition au milieu intérieur, les sécrétions, dont les urines, ont une composition variable. C'est ainsi que les lapins ingérant leur nourriture habituelle émettent des urines troubles car alcalines alors que les animaux maintenus à jeun émettent des urines claires car acides. Plus de cinquante ans plus tard, Cannon, reprenant et approfondissant la pensée de Claude Bernard, définit la notion d'homéostasie dans son livre célèbre "The Wisdom of the Body" (2). Cannon montra comment la coopération harmonieuse de tous les organes maintient en permanence des conditions idéales appelées état stationnaire ou "steady state".

 

L'étape suivante fut l'analyse et la mesure des compartiments liquidiens. On savait depuis longtemps que l'eau représentait un constituant majeur de l'organisme des êtres vivants, mais il fallut attendre les premières expériences de dilution à l'équilibre de colorants ou d'isotopes pour définir et mesurer les différents volumes de l'organisme. Moore et Edelman, dans les années suivant la 2ème guerre mondiale, calculèrent de cette manière les valeurs de l'eau totale, l'eau extracellulaire et l'eau plasmatique et en montrèrent la constance lorsqu'elles sont exprimées en pourcentage du poids corporel (3, 4). Le volume plasmatique représente ainsi 4,5% du poids total. Parallèlement à ces études, l'analyse des liquides intra et extra cellulaires fut menée à bien. Elle montra que le sodium et le chlore sont les principaux ions extracellulaires alors qu'à l'intérieur des cellules le potassium et les phosphates prédominent.

 

Comment la volémie est-elle régulée ?

On arriva rapidement à la notion que les mécanismes de la régulation de l'osmolalité plasmatique qui commande l'hydratation des cellules et ceux de la régulation des volumes plasmatique et extracellulaire étaient différents. L'osmolalité qui dépend essentiellement de la natrémie est maintenue dans d'étroites limites par la capacité des reins à excréter une urine de concentration variable et par la sensation de soif. L'hormone contrôlant la première de ces fonctions est l'hormone antidiurétique.

 

Au contraire, le maintien de la volémie est assuré par l'adaptation de l'excrétion rénale de sodium à la quantité de sodium ingéré dans l'alimentation afin de maintenir un bilan nul. Toute perte de sodium s'accompagne d'une perte d'eau faisant que l'osmolalité reste constante (1 litre d'eau pour 140 mmol de sodium), ce qui produit une diminution de la volémie. Inversement, toute rétention de sodium s'accompagne d'une rétention d'eau, d'une augmentation des volumes plasmatique et extracellulaire et d'un gain de poids. H. Smith, dans son ouvrage de référence "The Kidney. Structure and Function in Health and Disease", insiste bien sur cette différence entre la régulation de l'osmolalité, c'est-à-dire de la natrémie, et celle du volume extra cellulaire. Il écrit "ln considering the possible effector mechanisms which may be involved in extracellular fluid control, it may be noted that perhaps the least important factor is the serum sodium concentration" ("Si on considère les mécanismes effecteurs possibles qui peuvent être impliqués dans la régulation des liquides extracellulaires, on peut noter que peut-être le facteur le moins important est la concentration de sodium dans le sérum") (5).

La question aussitôt posée fut de savoir comment l'organisme était renseigné sur l'état de la volémie.

 

Deux notions s'imposèrent :

Dans l'histoire du facteur auriculaire natriurétique, il faut considérer deux notions qui prirent un départ différent pour aboutir au même résultat, celle d'un facteur natriurétique circulant dans le sang des animaux surchargés en sodium et celle du coeur considéré comme glande endocrine.

        

Démonstration de l'existence d'un facteur natriurétique circulant

Jusqu'en 1960, on estima de manière générale que les changements de volume produisaient des changements dans l'excrétion du sodium en modifiant le débit de filtration glomérulaire ou la concentration d'aldostérone dans le plasma. En fait, de nombreuses constatations montraient que cette conception ne rendait pas compte de la totalité des phénomènes observés. C'est ainsi qu'au cours de l'insuffisance rénale chronique, les malades conservent un bilan du sodium équilibré avec une filtration glomérulaire très basse et des concentrations d'aldostérone le plus souvent normales. En

outre, Relman et Schwartz (10) firent l'intéressante observation que lorsque le volume des liquides extracellulaires est progressivement augmenté chez des sujets normaux par l'administration prolongée d'acétate de désoxycorticostérone, il y a d'abord une diminution de l'excrétion urinaire de sodium suivie par le retour à la normale. Ce phénomène connu sous le nom d'échappement suggérait l'intervention d'une hormone natriurétique en réponse à l'augmentation de la volémie.

 

 

Une étape décisive fut franchie avec une série d'expériences effectuées entre 1960 et 1970 essentiellement par le groupe de H. de Wardener à Londres. Cet auteur et ses collègues démontrèrent d'abord que chez le chien recevant de grandes quantités d'un minéralocorticoïde, la 9alpha fluorohydrocortisone, et d'hormone antidiurétique, la perfusion de soluté salé physiologique provoquait une augmentation de l'excrétion urinaire du sodium même quand la filtration glomérulaire était diminuée par l'insufflation d'un ballon placé dans l'aorte thoracique (Fig. 1). La conclusion était que, dans ces circonstances, la réabsorption tubulaire du sodium diminuait par un mécanisme autre que le changement de concentration d'un stéroïde antinatriurétique comme l'aldostérone (11).

 

Ce mécanisme cependant n'incluait pas forcément la sécrétion d'une hormone natriurétique. D'autres hypothèses étaient tout autant plausibles tenant à la dilution du sang par le soluté salé physiologique, à l'augmentation de la pression hydrostatique intrarénale et à l'intervention de l'innervation rénale. En effet, la dilution du sang abaisse la pression oncotique des protéines que l'on sait depuis Starling diminuer les transferts d'eau et donc freiner la réabsorption du sodium de la lumière tubulaire vers les capillaires intrarénaux. De même, l'augmentation de la pression hydrostatique rénale s'oppose à la réabsorption du fluide tubulaire.

 

Pour résoudre ce problème, J. Bahlmann dans le laboratoire de H. de Wardener refit les expériences de surcharge volémique en utilisant un liquide de perfusion en équilibre avec le sang (12). Deux protocoles furent suivis. Dans la première série d'expériences, le sang du chien circulait pendant au moins 75 minutes à travers un réservoir contenant la solution à perfuser enrichie en albumine. Ainsi le sang de l'animal s'équilibrait avec le liquide contenu dans le réservoir. Le sang du réservoir était ensuite transfusé au chien (Fig. 2).

 

 

La deuxième série d'expériences consista en des circulations croisées entre deux chiens de taille différente à des débits dans les deux sens de 200-300 ml/min. Après 45 minutes, le tube amenant le sang du petit chien au gros chien était fermé. Dans les 5 minutes suivantes, le sang continuait à passer du gros chien au petit chien, ce qui conduisait à une augmentation du volume sanguin chez ce dernier d'environ 40%. Dans les deux séries d'expériences, les animaux recevaient de l'acétate de désoxycorticostérone et de l'hormone antidiurétique. De plus, un lacet placé autour de l'aorte thoracique permettait en le serrant de diminuer la pression de perfusion rénale. Enfin, l'urine était recueiIlie séparément dans les deux uretères et un rein était dénervé, l'autre gardant son innervation intacte. En plus de l'excrétion rénale du sodium, la filtration glomérulaire et le flux plasmatique rénal étaient mesurés par la clairance de l'inuline et celle du PAH, respectivement. L'ensemble de ces expériences montrèrent que l'augmentation de la volémie élevait l'excrétion rénale du sodium indépendamment de la dilution du sang, d'une augmentation de la pression de perfusion ou d'un changement d'activité des nerfs rénaux.

     

Le coeur considéré comme glande endocrine

Les oreillettes des mammifères contiennent des granules de sécrétion semblables à ceux observés dans les glandes endocrines. Ces granules sont absents dans les ventricules. Leur distribution entre les deux oreillettes varie d'une espèce à l'autre. Les premiers à les reconnaître furent Jamieson et Palade (13). Mais leur nombre dépend de la teneur en sodium du régime. C'est Marie, Guillemot et Hatt qui attirèrent l'attention sur la relation entre le nombre des granules de sécrétion et la surcharge ou la déplétion en sodium (14). Ils trouvèrent en effet que ce nombre varie en fonction inverse de l'apport en eau et en sodium, ce qui suggère que l'augmentation du volume extracellulaire entraîne la sécrétion et donc la moindre densité de ces granules spécifiques (Tableau 1).

 

 

 
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