Quelques années plus tard, De Bold et son équipe firent les mêmes constatations, mais surent mieux que le groupe français en tirer les conséquences (15). Ils montrèrent que l'injection au rat d'extrait de tissu auriculaire de la même espèce entraînait une élévation importante de l'excrétion rénale de sodium, de potassium et d'eau sans changement de la filtration glomérulaire alors qu'un extrait ventriculaire de même poids n'avait aucun effet. Ces changements, immédiats et de durée brève, étaient associés à une chute de la pression artérielle (16). Cette même équipe montra que des fractions de l'extrait auriculaire séparées par ultracentrifugation en gradient de saccharose ont un pouvoir natriurétique lié à leur richesse en granules. Ces premiers travaux eurent un grand retentissement et déclenchèrent une série d'études qui, en quelques années, aboutirent à la connaissance détaillée de l'hormone et de sa synthèse. Il est intéressant de noter que les premières conclusions étaient en partie fausses puisque les ventricules comme les oreillettes sécrètent aussi des peptides natriurétiques.
Il fut rapidement démontré que le facteur natriurétique était un polypeptide parce que son activité était supprimée par des enzymes protéolytiques. La purification et la connaissance de la structure de ce polypeptide furent obtenues par des travaux simultanés de quatre groupes, deux canadiens, ceux de De Bold à Vancouver et de Genest à l'Institut de Recherches Cliniques de Montréal, un américain, celui de Needleman à St-Louis et un japonais, celui de Matsuo à Osaka. Plusieurs peptides apparentés furent initialement décrits différant par le nombre d'acides aminés et appelés facteurs auriculaires natriurétiques (ANF) l, Il et III, atriopeptines I et Il, cardionatrine I. Il apparut rapidement qu'ils dérivaient tous du même précurseur et représentaient le résultat d'hydrolyses successives. En fin de compte, un peptide de 28 acides aminés décrit par Flynn et coll. (17) chez le rat fut considéré comme la molécule sécrétée dans le sang et baptisée facteur ou peptide auriculaire natriurétique. Le même peptide, à l'exception d'une méthionine remplaçant une isoleucine, fut isolé de l'oreillette humaine. Ces 2 peptides sont natriurétiques et hypotenseurs comme les extraits auriculaires dont ils dérivent. Leur structure est caractérisée par la présence d'une boucle entre 2 cystéines en position 7 et 23. Très rapidement, le gène de l'ANF fut isolé de banques d'ADN préparées à partir d'ARN provenant de muscle auriculaire. Ce gène, très conservé au cours de l'évolution, consiste en 3 exons séparés par 2 introns. Il est remarquable de noter qu'il s'écoula seulement 2 ans entre la démonstration du pouvoir natriurétique d'un simple extrait auriculaire de rat (1981) et la description de la structure de l'hormone (1983) suivie un an après par la connaissance du gène (1984).
Les découvertes les plus novatrices seront brièvement résumées dans les paragraphes suivants.
On savait, depuis la découverte de Sutherland et les travaux qui ont suivi, que l'adenosine monophosphate cyclique (AMPc) était le deuxième messager de nombreuses hormones comme l'hormone parathyroïdienne, les catécholamines par leurs récepteurs Beta, l'hormone antidiurétique et l'hormone thyréotrope. Le GMPc, nucléotide construit sur le même modèle que l'AMPc, mais dans lequel seule la base purique change (une guanine au lieu d'une adénine), restait sans rôle précis bien qu'on sût que les cellules contenaient l'enzyme nécessaire à sa synthèse à partir du guanosine triphosphate (GTP), la guanylate cyclase. L'effet stimulateur de l'ANF sur cette enzyme fut observé initialement dans le rein par les chercheurs de l'Institut de Recherche Clinique de Montréal(16). L'étape suivante fut de caractériser la guanylate cyclase répondant à l'ANF. Deux faits ressortent de ces études. Il s'agit d'une guanylate cyclase particulaire présente dans la membrane cellulaire. L'enzyme représente une partie du récepteur même liant l'ANF contrairement à l'adénylate cyclase qui est une protéine distincte du récepteur. Le GMP cyclique fut vite reconnu comme le marqueur biologique de l'ANF. Mes collaborateurs et moi-même avons, comme d'autres, vérifié dans de nombreux travaux d'investigation clinique humaine que le GMP cyclique urinaire et plasmatique était étroitement corrélé à l'ANF plasmatique en conditions physiologiques et au cours de diverses maladies associées à une augmentation de la production nette d'ANF.
Une deuxième notion que l'ANF permit de découvrir est l'existence de récepteurs hormonaux silencieux, c'est-à-dire dénués d'effets biologiques, mais jouant un rôle dans le catabolisme de l'hormone. Maack découvrit le premier ces récepteurs dans le cortex de rein de rats et démontra qu'ils ne possédaient pas d'activité guanylate cyclasique (19). Il aboutit à la conclusion que leur fonction essentielle était l'internalisation et le catabolisme de l'ANF et, pour cette raison, les appela récepteurs de clairance (récepteurs C). Le même groupe démontra que la spécificité de ces récepteurs s'étendait à des analogues de l'ANF, tronqués ou dépourvus de la boucle centrale, qui sont incapables d'activer les récepteurs biologiques pourvus d'activité guanylate cyclasique.
Les travaux ultérieurs montrèrent que l'ANF n'est pas le seul peptide natriurétique et que les récepteurs de ces hormones ne se limitent pas aux 2 types précédemment décrits. Il y a, en fait, au moins 3 autres peptides natriurétiques en plus de l'ANF. Le peptide natriurétique du cerveau (BNP) a, comme son nom l'indique, été initialement purifié dans le cerveau de porc. En fait, il est plus abondant dans les oreillettes et les ventricules. C'est une hormone comme l'ANF dont la sécrétion obéit aux variations du volume sanguin central. La différence est que l'ANF est sécrété essentiellement par les oreillettes et le BNP par les ventricules. Un autre point notable est que l'ANF est très conservé d'une espèce à l'autre alors que la structure du BNP est variable. Le BNP dérive d'un gène distinct de celui de l'ANF. Il active le même récepteur biologique conduisant ainsi à la production de GMP cyclique et est également internalisé et détruit par les récepteurs C. Le peptide natriurétique de type C (CNP) est le 3ème membre de la famille. Il a été identifié d'abord dans le cerveau, puis dans les vaisseaux périphériques. C'est plus un médiateur local qu'une hormone et ses effets sont vasculaires, consistant en la relaxation du muscle lisse, et non natriurétiques. Il dérive d'un gène propre et reconnaît un récepteur propre, dit récepteur B, lui aussi pourvu d'activité guanylate cyclasique. Son deuxième messager est donc, comme pour l'ANF et le BNP, le GMP cyclique.
Un autre peptide, l'urodilatine, occupe une place à part. Il dérive du même gène et du même précurseur que l'ANF mais possède 4 acides aminés de plus à l'extrémité N terminale. L'urodilatine est synthétisée par le tubule rénal, est présente uniquement dans l'urine et n'est donc pas une hormone. Elle produit une natriurèse en agissant sur les cellules du tube collecteur. On est donc allé ces dernières années vers une complexité croissante du système. Il reste encore à bien définir le rôle physiologique de chacun de ces peptides.
L'histoire de l'ANF s'est rencontrée avec celle des enkaphalines et des antigènes de surface des leucocytes. En effet, on avait décrit, bien avant l'ANF, un marqueur Iymphocytaire appelé CD10 ou CALLA (commun acute leukemia lymphocyte antigen) et également de manière indépendante une enzyme cérébrale métabolisant les enképhalines, petits peptides cérébraux impliqués dans l'analgésie. L'enzyme fut purifiée, clonée et caractérisée.
Elle est appelée endopeptidase neutre et représente la principale voie du catabolisme de l'ANF chez l'homme. Cette découverte mit fin au concept de « une peptidase, un substrat ». De plus, on s'aperçut que CALLA et endopeptidase neutre étaient une même protéine. Les laboratoires de B. Roques et J.C. Schwartz (Paris) jouèrent un rôle déterminant dans ces études. En outre, plusieurs inhibiteurs de cette enzyme furent préparés dans ces deux laboratoires. L'utilisation de ces inhibiteurs chez l'homme démontra le rôle essentiel de l'endoprotéinase neutre dans le catabolisme de l'ANF puisqu'elle s'accompagne d'une augmentation importante des concentrations plasmatiques de l'ANF et du GMP cyclique. On a donc là un moyen d'accroître les effets bénéfiques de l'ANF dans un but thérapeutique.
Le dernier point d'importance mis en évidence ces dernières années est que l'ANF et les autres peptides natriurétiques représentent un système physiologique chargé de contrebalancer les effets du système rénine angiotensine (Fig. 3). En conditions physiologiques de base, le rôle de l'ANF a été difficile à établir. Les premières expériences comportant l'injection dans la circulation d'anticorps anti-ANF donnèrent des résultats contradictoires. Plus récemment, l'utilisation d'un inhibiteur compétitif de l'ANF empêchant sa fixation sur son récepteur biologiquement actif a montré que la suppression des effets de l'ANF endogène produisait une diminution de la natriurèse chez le chien. En fait, l'ANF intervient essentiellement pour corriger la surcharge volumique. Son rôle dans les surcharges aiguës est largement prouvé puisque l'injection d'un anticorps anti-ANF inhibe considérablement la réponse diurétique à l'administration intraveineuse de soluté physiologique au rat. De même, les rats immunisés contre leur propre ANF excrètent lentement une surcharge hydrosaline. Au contraire, les mêmes rats se comportent comme des rats normaux lorsqu'il s'agit d'une surcharge chronique par modification de la teneur en sodium du régime, d'autres mécanismes suppléant alors la défailIance de l'ANF. En pathologie, la concentration plasmatique de l'ANF est élevée dans plusieurs maladies dont l'insuffisance rénale chronique et l'insuffisance cardiaque où il joue un rôle dans le rétablissement de l'homéostasie. Par exemple, dans l'insuffisance rénale chronique plusieurs travaux aboutissent à la conclusion que l'ANF contribue à maintenir un bilan nul du sodium par la diminution de la réabsorption tubulaire de ce cation (20). Dans l'insuffisance cardiaque, l'ANF élevé limite les effets délétères de l'angiotensine II sur les résistances vasculaires périphériques et de l'aldostérone sur la natriurèse. Il apparaît donc qu'une voie d'avenir en thérapeutique pourra passer par la stimulation des peptides natriurétiques obtenue essentiellement en bloquant l'activité de l'endoprotéinase neutre, principale voie de sa destruction.
La découverte de l'ANF a bouleversé la recherche des facteurs natriurétiques. Cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas des facteurs natriurétiques non peptidiques comme la molécule endogène apparentée à la digitaline qui inhibe la Na+- K+ATPase. Mais leur rôle semble mineur par rapport à celui des peptides natriurétiques. Les perspectives actuelles de recherches se font surtout dans deux directions :