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numéro 6

Hargitay et Kuhn en 1951 (8) lorsque ces auteurs mesurèrent chez le rat le delta cryoscopique du fluide tubulaire dans des tranches congelées de tissu rénal prélevées à différents niveaux le long de l'axe cortico-papillaire et constatèrent que la pression osmotique y est sensiblement égale dans toutes les structures à un niveau donné, mais qu'elle s'accroît progressivement lorsque le niveau considéré se déplace de la jonction corticomédullaire (où elle est isotonique) jusqu'à l'extrémité de la papille où elle est égale à celle de l'urine finale (Fig. 3). La plupart des physiologistes s'accordèrent pour penser que ces résultats surprenants devaient résulter d'un artefact expérimental, car comment imaginer, sinon, que les parois des vasa recta puissent être soumises, dans la papille du rein, à la différence de pression osmotique qui existe entre l'urine et le sang systémique?

 

 

En 1953, Wirz (9), leva cette objection en démontrant que le gradient médullaire de pression osmotique intéresse aussi le sang des vasa recta, puisque le plasma sanguin prélevé dans les anses vasculaires de la pointe de la papille (accessibles à la micro­ponction chez le hamster doré) possède la même pression osmotique que l'urine émise simultanément (Fig. 4). Le scepticisme de beaucoup persista pourtant car d'autres questions restaient posées : comment les cellules tubulaires pouvaient-elles maintenir leur volume dans la médullaire profonde dès lors que la pression osmotique des liquides extracellulaires serait susceptible d’y varier considérablement en fonction des conditions physiologiques ? Quel mécanisme était-il en mesure d'expliquer l'établissement du gradient axial de pression osmotique en présence d'ADH ?

 

 

K. Ullrich et ses collaborateurs contribuèrent à apporter une réponse à la première de ces questions à partir de 1955 en analysant la composition chimique de la médullaire rénale chez le chien déshydraté ou en diurèse osmotique ; ils découvrirent a cette occasion que la glyceriphosphorylcholine s'accumule dans la papille au cours de la déshydratation (où il a été confirmé depuis qu'elle joue le rôle d'osmolyte intracellulaire). Quant à la seconde question, il avait été postulé dès 1953 par Wirz qu'une réabsorption active de sel tout au long de la branche ascendante de l'anse de Henle pourrait, en augmentant l'osmolarité du liquide interstitiel, constituer "l'effet élémentaire" de concentration impliqué dans le mécanisme de multiplication par contre­courant, à condition évidemment que cette branche ascendante soit imperméable à l'eau. Il reviendra encore à Wirz (10) d'avoir prouvé expérimentalement le bien fondé de ce mécanisme en montrant dès 1956 (par microponction de tubules distaux à la surface du rein chez le rat) que le fluide tubulaire qui sort des branches ascendantes est effectivement fortement hypotonique [U/P)osm de l'ordre de 0,5 à 0,6] (Fig. 5).

 

 

Malgré une accumulation impressionnante de résuItats convergents, il n'est toujours pas fait mention de la théorie de concentration par contre-courant dans le livre "Principles of renal physiology" que H. Smith publie en 1956 (11). Il faudra attendre que Gottschalk et col. (dans une remarquable série d'expériences de microponctions effectuées sur la papille de plusieurs espèces de mammifères) confirment intégralement aux U.S.A. en 1959 (12) les résultats accumulés par Wirz pendant près de 10 ans, pour que H. Smith accepte enfin en 1959 (13) la théorie du contre-courant dans un article exemplaire (trop peu cité depuis) dans lequel il reconnaît avoir jusqu'alors ignoré l'anse de Henle, taxée par lui avec hûmour d"'accident de l'organogénèse''. Ce que l'on pourrait appeler la conversion de H. Smith à la nouvelle théorie entraîna aussitôt celle de l'ensemble de la communauté des spécialistes des U.SA. Certains d'entre eux, réticents jusqu'alors, allèrent même jusqu'à y apporter diverses améliorations qui restèrent pour la plupart sans lendemain.

 

Conclusion

L'épisode que nous avons rappelé dans cet article prouve à quel point des hypothèses ou des données expérimentales totalement hétérodoxes peuvent être difficiles à faire accepter, surtout lorsqu'elles semblent remettre en cause un corpus de doctrine et de connaissances cohérent et solidement étayé. Et pourtant, à y regarder de plus près avec le recul du temps, le mécanisme de concentration par contre-courant ne s'opposait pas vraiment au schéma proposé par Smith; il le complétait plutôt et l'améliorait en supprimant la difficulté que constituait la nécessité de postuler un transport actif d'eau dans les collecteurs, puisque cette réabsorption terminale devient passive dès lors que ces canaux traversent des régions médullaires d'hyperosmolarité croissante. De même, le segment grêle des anses (au moins dans sa portion descendante) reste toujours un segment d'équilibration osmotique, mais dans un environnement lui aussi de pression osmotique croissante - et non plus isotonique.

 

Au delà des controverses qu'elle a temporairement suscitées, au delà même de son importance dans notre compréhension du mécanisme de concentration de l'urine, la découverte du rôle joué par les anses de Henle aura surtout été décisive parce qu'elle a donné un nouvel essor à toute la physiologie rénale. Sa démonstration expérimentale a en effet nécessité de recourir aux microponctions tubulaires sur le rein des mammifères car elle n'était pas à la portée de la méthode des clearances comparée, par trop indirecte. Considérée comme une exceptionnelle prouesse technique en 1950, l'étude des fonctions tubulaires par microponction chez les mammifères devait devenir, grâce aux travaux de Wirz et de Gottschalk, une méthode de routine d'usage largement répandu à partir des années 60, conduisant à la moisson de résultats que l'on sait (avant qu'à son tour la technique des microperfusions tubulaires ne vienne la supplanter dans les années 70). C'est à ce titre que l'anse de Henle aura marqué un tournant dans l'histoire de la physiologie rénale.

 

Bibliographie

 
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